FONCTIONNALISME, linguistique
Le débat fonctionnalisme/formalisme
Le paradigme épistémologique où s'inscrit le fonctionnalisme s'oppose, on le voit, à celui des tenants d'une approche formaliste du langage (telle la grammaire générative de Noam Chomsky) qui, pour leur part, prônent au contraire une approche dite « interne » du système de la langue, conçu avant tout comme support d'expression de la pensée. Pour les formalistes, les phrases sont des phénomènes autonomes dont la connaissance est strictement interne à l'esprit de chaque individu, en sorte que leur structure et leur signification sont analysables sans aucun recours à des facteurs contextuels, situationnels ou interactionnels.
Il en découle que la pratique scientifique des fonctionnalistes se différencie très largement de celle des formalistes : méthode inductive, généralisations graduelles, observations statistiques sur corpus, prise en compte des performances des sujets, pour les premiers ; méthode hypothético-déductive, généralisations absolues, rejet du travail sur corpus et prise en compte de la seule compétence intériorisée, pour les seconds. En définitive, c'est l'objet d'étude lui-même qui diffère : les fonctionnalistes s'intéressent à l'énoncé, à ses conditions d'emploi dans le discours et aux motivations pragmatiques de sa construction, alors que les formalistes analysent la phrase en tant que structure syntaxique résultant d'un calcul et susceptible de recevoir une interprétation sémantique.
C'est que, pour les fonctionnalistes, le langage ne peut être appréhendé que dans sa dimension d'interaction communicative, c'est-à-dire à travers le discours et la parole actualisée. Au principe d'explication « interne » des formalistes, les fonctionnalistes préfèrent donc celui d'une explication « fonctionnelle », du fait que le système linguistique est, selon eux, façonné par l'activité des sujets parlants. Décrire un système, c'est donc étudier les relations de correspondance que les formes du système entretiennent avec les fonctions qu'elles expriment.
Sur le terrain de l'ontogenèse, les processus d'acquisition du langage par l'enfant sont abordés par les fonctionnalistes dans une perspective qui entend se démarquer de la théorie de « l'instinct du langage » de Stephen Pinker : loin d'être innées, les catégories syntaxiques émergeraient progressivement, grâce à des opérations fondées sur l'usage, à partir de mécanismes d'apprentissage et sur la base de catégories sémantiques et de catégories ontologiques primitives.
En matière de typologie des langues – terrain d'étude privilégié du fonctionnalisme –, par-delà l'observation de corrélations entre certaines propriétés dans un très grand nombre de langues, qui conduit à postuler l'existence d'universaux de fonctionnement, certains auteurs tels Bernd Heine ou Hansjakob Seiler se sont attelés à la recherche de schèmes cognitifs universels, comme ceux de la possession ou de la comparaison.
Enfin, le fonctionnalisme a contribué à renouveler la réflexion sur l'évolution des langues en abordant la diachronie comme un système dynamique plutôt que comme une succession d'états : il appréhende le changement linguistique comme résultant de processus cognitifs qui, telle la « grammaticalisation », participent là encore de l'usage effectif du langage.
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Écrit par
- Catherine FUCHS : directrice de recherche émérite au CNRS
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