FONDATIONNALISME ET ANTIFONDATIONNALISME, mathématique
Jamais dans aucune science la recherche de fondements – ou de fondations – n'a été aussi approfondie qu'en mathématiques. Les méthodes proposées sont nombreuses et le débat qui est né de ces diverses propositions (voir les articles liés) semble sans fin et ne pas progresser vers une solution unique pouvant recueillir un soutien unanime (alors que les mathématiques, elles, avancent à grands pas et sans controverse). Dans ces conditions, l'importance des problèmes de fondements, qui paraissait évidente, a été mise en doute dans la seconde moitié du xxe siècle.
Une position commune à de nombreux mathématiciens et théorisée par quelques chercheurs mathématiciens ou philosophes, dont Hilary Putnam (né en 1926) et Thomas Tymoczko (1943-1996), consiste à affirmer que les mathématiques se passent très bien de fondements et qu'il faut s'en moquer. Jean Dieudonné (1906-1992) – ancien membre du groupe Bourbaki – indiquait par exemple que la position des mathématiciens vis-à-vis des problèmes de fondements « est décrite au mieux comme une indifférence totale ». Le diagnostic est confirmé par Frédéric Patras : « La postérité de Bourbaki et des écoles de l'après-guerre est encore essentiellement indifférente à toutes les questions de fondements, car c'est une attitude qui lui a été méthodiquement enseignée (en tout cas en France). » Plus étonnant, certains logiciens proclament une indifférence vis-à-vis du problème des fondements. Un antifondationnalisme au quotidien, et revendiqué avec vigueur, semble devenu commun en mathématiques.
Il apparaît cependant qu'une confusion est faite entre deux formes de fondationnalisme (et donc deux formes d'antifondationnalisme). Le premier, le fondationnalisme au sens fort, défend l'idée que les mathématiques doivent être construites d'une manière hiérarchisée sur un socle – aussi petit que possible – qui justifie et assure le reste de l'édifice, et cherche dans une réduction des concepts de base (objets, axiomes, etc.) à limiter le plus possible le risque d'effondrement de la construction générale (par exemple résultant d'une contradiction). Ce souci de garantir les mathématiques est né de la période dite de la crise des fondements au début du xxe siècle où, à la suite de la découverte de paradoxes (ou antinomies) en théorie des ensembles, un doute s'empara de la communauté mathématique. Cependant, ce projet n'est plus à l'ordre du jour pour deux raisons au moins. Tout d'abord, l'inquiétude du début du xxe siècle est aujourd'hui essentiellement oubliée, car aucune contradiction n'est apparue dans la version axiomatisée de la théorie des ensembles, notée ZF, mise au point par Ernst Zermelo (1871-1953), Albert Thoralf Skolem (1887-1963) et Adolf Abraham Fraenkel (1891-1965) et adoptée par la grande majorité des mathématiciens comme cadre logique et notationnel pour exposer leurs travaux. De plus, l'interprétation la plus simple du second théorème d'incomplétude de Kurt Gödel (1906-1978) de 1931 est que la non-contradiction d'une théorie ne peut être démontrée qu'à l'aide d'une théorie plus puissante et qu'il est donc vain de chercher un fondement minimal à l'ensemble de l'édifice mathématique.
On comprend que le fondationnalisme au sens fort n'a aujourd'hui plus aucun défenseur véritable en mathématiques. Ce n'est pas le cas du fondationnalisme au sens modéré, qui revendique seulement l'affirmation que l'étude des fondements est intéressante et doit être poursuivie. Une multitude d'arguments en faveur de l'utilité de l'étude des fondements ont été présentés en particulier par le logicien Solomon Feferman (né en 1928). Sont mentionnées l'idée que les travaux sur les fondements conduisent à une clarification des concepts (celui[...]
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Écrit par
- Jean-Paul DELAHAYE : professeur à l'université des sciences et technologies de Lille
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