FONTAINE MONUMENTALE
La fontaine est un lieu aménagé et orné où la nature dit sa puissance de fécondité, d'où la très ancienne habitude de faire jaillir l'eau de protomés ou d'orifices imités de pertuis organiques. Mais la valorisation de l'eau ne suit pas des cheminements uniques ; le signalent, ainsi, les fantasmes attachés au projet médiéval de la fontaine de Jouvence ou la théâtralisation jacobine de la fontaine de régénération qui reprennent, en les déformant, le mythe baptismal. C'est que les rêveries de l'eau supportent une dialectique intestine, par quoi l'élément aqueux se trouve saisi sous le double rapport contradictoire de la fécondation et de la purification ; en outre se profile, dans l'archéologie imaginaire de la fontaine, le conflit des eaux sombres et dormantes avec les eaux claires et jaillissantes. Toutes ces images naturelles seront reprises, variées, magnifiées par les fontainiers, à proportion de leur capacité technique à subjuguer la pression des fluides. Toutes les fontaines répètent, plus ou moins délibérément, purs ou combinés, deux modèles organiques fondamentaux : l'antre doublé de doux ruissellements et l'écumeuse fureur du jet orgueilleux.
Bien entendu, les partis techniques se dotent de références légendaires ; la grotte de la nymphe Égérie est le prétexte des nymphées romains et des grottes architecturées de la Renaissance, dont les ornements emblématiques se compliquent souvent de machineries hydrauliques à surprise. Il s'agit là de dispositifs de pur luxe, établis comme éléments de scénographie hédoniste. Au contraire, la monumentalité édilitaire et utilitaire de la fontaine s'exprime souvent dans des formes généralement circulaires : par exemple, la fontaine de Pérouse, terminée en 1278, dont la citerne productive symbolisait la puissance de la cité. Toutefois, le modèle le plus fréquent, à partir du xve siècle, se compose d'une vasque plus ou moins ornée, surmontée d'un dispositif central, qui est soit un groupe sculpté plus ou moins composite, soit un membre architectural simple, obélisque, pile, colonne. Le parti peut se compliquer quand le dispositif se transforme plus tard en édicule, comme dans la fontaine des Innocents, à Paris, dont l'effet résulte, par ailleurs, de la chute graduée de nappes d'eau. Florence et Bologne, cependant, ont donné à l'époque maniériste des exemples de systèmes compliqués où l'eau, le bronze et le marbre réunis ornent, dans les villes, places et jardins. À Rome, l'inscription monumentale de l'eau dans le tissu urbain se développe tout particulièrement. Dans le genre de la fontaine adossée se distinguent l'Acqua felice (1587), sous arcades, ainsi que la Mostra d'acqua Paolaau Janicule (1612) qui préludent au prestigieux dispositif de la fontaine de Trevi (1732-1762). Le rôle éminent des fontaines dans la cité pontificale fut, entre-temps, marqué par le carrefour des Quatre-Fontaines, au cœur du projet de remodelage de Sixte Quint, ainsi que par les initiatives de Bernin, notamment les fontaines du Triton (1643) et des Fleuves (1651).
Dans toute l'Europe baroque, le génie des fontaines trouvera à s'exprimer, avec plus ou moins de bonheur, tout particulièrement dans les jardins qui sont associés aux palais ; à Paris, il y eut quelques tentatives notables, notamment celle de la fontaine adossée de la rue de Grenelle, qui paraît toutefois un peu maigre comparée à l'ampleur que l'on donne aux fontaines en Italie. On assistera à la fin du xixe siècle à un retour de faveur des fontaines urbaines, que le xxe siècle saura maintenir.
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
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