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FORBIDDEN HOLLYWOOD (rétrospective)

La fascination du gouffre 

Meurtri par le krach de Wall Street et ému par l’avènement du parlant, le public du cinéma, divertissement bon marché, n’était guère attiré par les discours moralisateurs. Le code restant consultatif, son respect fut des plus lâches. De 1930 à 1933, les nouvelles icônes furent le gangster (Edward G. Robinson, James Cagney, Paul Muni) et la femme libérée (Norma Shearer, Jean Harlow, Barbara Stanwyck). D’autres menaces de boycott s’élevèrent alors et des pressions s’exercèrent en vue de l’établissement d’une censure nationale. Préférant l’autocensure à une loi imposée, la profession mit en place un véritable code, beaucoup plus strict, prévoyant de lourdes pénalités en cas de non-respect : le Production Code (que l’on désigna par « code Hays », l’associant abusivement à Will Hays). De 1934 à 1954, Joseph Breen, à la tête du PCA (Production Code Administration), installé à Los Angeles, en était la véritable autorité. Ses collaborateurs siégeaient dans les conseils d’administration ou intervenaient dès l’achat de droits ou dès les conférences de production, afin d’éviter un veto tardif sur un film achevé.

<em>A Free Soul</em>, C. Brown - crédits : Everett Collection/ Aurimages

A Free Soul, C. Brown

Huit des dix films de la rétrospective sont focalisés sur des personnages féminins : l’héritière désinhibée (A Free Soul), la « chercheuse d’or » cynique (RedHeadedWoman, Baby Face), la femme d’affaires (Female), la bourgeoise encanaillée (JewelRobbery), la prolétaire dure à cuire (Night Nurse) ou victime (Employees Entrance), la prostituée à la sexualité affichée (RedDust). Prépondérantes dans le Hollywood du muet, les femmes écrivains ou scénaristes avaient conservé une importance notable dans les années 1930, quand le public décisionnaire était majoritairement féminin. Trois titres adaptent des romans écrits par des femmes (Night Nurse, A Free Soul, RedHeadedWoman) et trois autres comptent une femme parmi les scénaristes (Baby Face et Female, tous deux écrits par le duo Gene Markey-Kathryn Scola ; RedHeadedWoman, par le duo que formaient John Emerson et son épouse Anita Loos). Les comportements y sont libres et la sexualité y est dépeinte sans détour. Dans A Free Soul, Norma Shearer délaisse un prétendant guindé (le Britannique Leslie Howard) pour un gangster plus « excitant » (Clark Gable). Dans Baby Face, Barbara Stanwyck se venge de la brutalité masculine en gravissant sans scrupules, par le chantage et en monnayant ses charmes, les échelons qui mènent à la direction d’un important groupe bancaire.

L’ascension sociale au sein d’une société majoritairement masculine est un thème récurrent : dans Female, Ruth Chatterton gère d’une main de fer un empire commercial où l’homme joue le rôle de l’« objet ». A Free Soul favorise la satisfaction immédiate des sens : la femme émancipée refuse le carcan bourgeois et l’enjeu est la liberté. Les hommes exploitent la candeur de la jeune fille en détresse mais finissent par capituler devant la « victime » (Employees Entrance, The Mind Reader).

Souvent, les actrices ont la réplique assassine et les manières directes, proposant une féminité émancipée, comme avec Jean Harlow ou Joan Blondell (Blonde Crazy). La nudité est souvent suggérée : l’aristocratique Norma Shearer ou la prolétaire Jean Harlow ne portent visiblement pas de soutien-gorge, alors que les plébéiennes Barbara Stanwyck et Joan Blondell partagent une scène en petite tenue dans Night Nurse.

La Jean Harlow de RedHeadedWoman, après avoir failli provoquer un adultère, épousait un homme riche et âgé et engageait une liaison avec son séduisant chauffeur français (Charles Boyer). En revanche, l’amoralité de Baby Face, qui hâta l’application stricte du Production Code renforcé, était compensée par une fin heureuse où l’on voyait la « brebis égarée » renouer avec la bienséance consensuelle. Le happy[...]

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Écrit par

  • : historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue Positif

Classification

Média

<em>A Free Soul</em>, C. Brown - crédits : Everett Collection/ Aurimages

A Free Soul, C. Brown