FORD JOHN (1894-1973)
Le cinéaste américain John Ford, né John Martin Feeny le 1er février 1894 à Cape Elizabeth (Maine), appartient à ce groupe de réalisateurs, contemporains à la fois de David Wark Griffith et de Jean-Luc Godard, qui terminent leur carrière par des films constituant autant de moments rares de l'histoire du cinéma, résultats d'un long processus de distillation et appels en morse vers l'avenir. L'œuvre de Ford, estimée par Eisenstein, Poudovkine, Welles, Kurosawa, Leone, Straub, Oliveira, ne cesse d'apparaître comme capitale. Elle regroupe plus de cent trente films et s'étend de 1917 à 1966. Il est difficile d'en apprécier tous les détours. Il ne reste que dix des cinquante-neuf films des débuts.
La formation d'un style
Three Bad Men (Trois Sublimes Canailles, 1926) présente un art de la narration déjà accompli. Ford a derrière lui quarante-trois films, courts ou longs métrages, et une expérience qui s'est constituée à la suite d'une réflexion sur l'exemple de Griffith, d'une collaboration avec son frère Francis Ford, dont il est l'assistant de 1914 à 1916 pour douze films, et d'un travail commun avec l'acteur Harry Carey, qui l'a pris sous sa protection. Ford adopte le pseudonyme de son frère. Griffith lui apprend qu'il faut prêter attention au moindre détail. Les tournages lui montrent qu'il ne suffit pas de mettre un acteur devant la caméra mais qu'il faut pouvoir établir dans les limites du cadre des relations entre des personnages. Harry Carey collabore avec Ford durant vingt-cinq films, dans lesquels il interprète le plus souvent le rôle d'un personnage nommé Cheyenne Harry. Carey propose un jeu (qui se retrouve par la suite chez d'autres acteurs fordiens comme Ben Johnson et John Wayne) et une manière de travailler qui est aussi un art de vivre communautaire : Ford élit domicile pour un temps dans le ranch de Carey, où l'acteur reçoit des amis, comme Ford le fera plus tard sur son voilier The Araner. La notion de groupe, de famille, est présente aussi bien dans la vie de Ford, dans ses méthodes de travail que dans ses récits. Le réalisateur a pris l'habitude de réunir des collaborateurs de toutes les générations, si bien que ses génériques sont constitués à la manière des couches géologiques.
La rencontre décisive de ces années de « formation » demeure celle du cinéaste allemand Murnau, dont l'œuvre aide Ford à mieux définir son style, caractérisé jusqu'alors, selon Tag Gallagher, par la technique de la vignette, qui consiste à définir rapidement un personnage dès sa première apparition par une série de traits fortement marqués. Ford conserve cette technique mais apprend aussi à établir des relations entre les personnages et le monde physique qui les entoure, où il les fait se déplacer quasi chorégraphiquement. La forme que l'on appelle « classique » se met en place à Hollywood dans les dernières années du cinéma muet. Elle résulte du mélange entre diverses expériences européennes (celles des Allemands et de certains Français, comme Maurice Tourneur) et les leçons de Griffith et DeMille, notamment. Ford en est l'un des plus éminents représentants pendant une quinzaine d'années, jusque vers 1940. Son œuvre montre que cette forme n'est pas l'objet monolithique que l'on a décrit.
Ford, qui préserve l'héritage du cinéma muet (notamment par son goût des liaisons visuelles), oscille principalement entre deux tendances, l'une très formelle, artistiquement ambitieuse, où l'héritage expressionniste pèse lourd (The Informer[Le Mouchard], 1935 ; The Plough and the Stars[Révolte à Dublin], 1936), l'autre, plus détendue, représentée avant tout par trois films avec l'acteur Will Rogers (Doctor Bull, 1933 ; Judge Priest, 1934 ; Steamboat round the Bend[...]
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Écrit par
- Jean-Louis LEUTRAT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Médias
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