FORD JOHN (1894-1973)
Retour au western
En 1939, Ford revient au western, genre que, après l'avoir abondamment pratiqué, il avait abandonné depuis 1926. Ce retour à un genre qui a fait la notoriété du réalisateur et qu'il a négligé pendant plus de dix ans est peut-être l'annonce d'un changement. Stagecoach (La Chevauchée fantastique, 1939) accomplit la période « classique » de Ford mais ouvre aussi une autre voie. Il s'agit en effet du premier film tourné dans Monument Valley ; le dernier sera Cheyenne Autumn (Les Cheyennes, 1964). Entre les deux, cinq autres sont réalisés dans le même lieu. L'utilisation de ce décor naturel ne s'est pas faite à la légère : ainsi, pratiquement, le premier plan montrant la vallée dans le générique de Stagecoach donne à voir la même chose que le dernier dans Les Cheyennes : un cordon de cavalerie passant entre les deux mêmes buttes. Il y a bien une série Monument Valley, soigneusement construite dans l'œuvre de Ford, et dont elle constitue en quelque sorte l'épine dorsale.
L'année 1939 est aussi celle de trois films importants dans lesquels Ford traite des mythes « fondateurs » des États-Unis, l'Ouest, Lincoln et l'esprit de 1776 (La Chevauchée fantastique ; Young Mr. Lincoln[Vers sa destinée] ; Drums along the Mohawk[Sur la piste des Mohawks]). Le metteur en scène était un grand lecteur de livres d'histoire. La guerre de Sécession le fascina, illustration exemplaire de la déchirure interne, qui est le sujet fordien par excellence, celui de The Searchers (La Prisonnière du désert, 1956).
Dès 1939, John Ford constitue son Field Photo Unit, une équipe de techniciens compétents qui est reconnue et intégrée par la marine. Il se trouve à la tête du service photographique de l'Office of Strategic Services (l'OSS, qui deviendra la CIA). Il travaille directement pour le gouvernement et réalise avec son équipe des films de propagande : SexHygiene (1941), The Battle of Midway (La Bataille de Midway, 1942), December 7th (1943) et quelques autres, où sa part est moins facile à déterminer. Il s'agit bien d'une troisième période de son œuvre. La veine du montage de documents se poursuivra tout au long de sa carrière : This Is Korea (1951), The Growler Story (1957), Korea: Battleground for Liberty (1959). Cet aspect non négligeable de l'œuvre de Ford exprime la relation du réalisateur au pouvoir (tous les grands cinéastes de cette génération, Eisenstein, Lang, Renoir, Capra, l'ont vécue) et le confronte à la manipulation la plus crue des images du réel.
En 1946, une quatrième période débute, marquée par le désir d'indépendance. Ford, comme Capra en 1945, crée sa propre maison de production, Argosy Pictures. Huit films portant ce label sont signés par lui de 1947 à 1953, et La Prisonnière du désert, réalisé dans Monument Valley, l'est avec une équipe semblable à celle des films Argosy. Il existe de Stagecoach à Seven Women (Frontière chinoise, 1966) une continuité de l'œuvre fordienne. Seven Women est l'histoire d'un groupe de Blancs, principalement des femmes, prisonniers de bandits chinois dans le huis clos d'une mission, situation caractéristique des films des années 1930 (le récit de Norah Lofts qu'il adapte date de 1935) ; le personnage central, une femme médecin agnostique, se sacrifie pour la communauté, comme l'héroïne de Boule-de-Suif, œuvre qui est censée être l'une des origines du scénario de Stagecoach.
De 1946 à 1966, Ford réalise trente-trois films, dont treize westerns. Les années 1954 et 1955 marquent un fléchissement momentané. Les commentateurs ont noté que la tonalité de l'œuvre fordienne est plus pessimiste dans cette période que dans celle qui précède la guerre. Des raisons personnelles ont pu jouer, le climat empoisonné du maccarthysme aussi. Mais ce pessimisme apparaît[...]
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Écrit par
- Jean-Louis LEUTRAT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Médias
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