FORMALISME (arts)
Des lois du changement à l'établissement des possibles
Cette hypothèque matérialiste levée, il restait à fonder une méthode d'analyse rigoureuse des formes et de leur évolution, scientifique, c'est-à-dire aussi exigeante d'un point de vue empirique que théorique. Tel sera le dessein de Riegl. Ainsi, dans L'Industrie artistique du Bas-Empire romain (Die spätrömische Kunstindustrie, nach den Funden in Österreich-Ungarn dargestellt, 1901), l'historien de l'art décrit comment les formes individuelles, qu'il s'agisse de motifs décoratifs ou de figures mimétiques, se détachent progressivement du fond à partir duquel elles se définissaient pour gagner en spatialité, s'isoler les unes des autres et, surtout, se distinguer du fond sur lequel elles ressortent. Dans l'architecture et les arts appliqués comme dans la sculpture, les mêmes lois régissant l'évolution artistique auraient conduit à une émancipation des formes closes vers une spatialité ouverte.
Soucieux de ne pas rapporter ce lent processus à des causes externes, Riegl recourt alors au concept ambigu de « vouloir artistique » (Kunstwollen). Parfois compris comme l'ensemble des virtualités de la culture qui entourerait une œuvre d'art, le terme fut également défini par Riegl comme un principe central formateur, une véritable force créatrice autonome, capable de donner aux œuvres d'une époque ses caractères formels essentiels. C'est cette seconde acception que reprendront, dans les années 1930, les héritiers directs de Riegl, les historiens de la « seconde école de Vienne », partisans d'une analyse structurelle (Strukturanalyse) – Otto Pächt, Fritz Novotny, Hans Sedlmayr –, lorsqu'ils chercheront à repérer un principe formateur à partir duquel déduire l'organisation formelle de l'œuvre d'art.
Un autre développement essentiel de la pensée formaliste apparaît avec les écrits du Suisse Heinrich Wölfflin (1864-1945). Comme chez Riegl, il y a chez lui pour principe un souci de scientificité : fixer le flux des événements artistiques dans des modèles solides. Cela conduira l'historien à mettre tout d'abord en œuvre, dans Renaissance et baroque (1888 ; trad. franç. 1985), un système descriptif apte à saisir les changements de plan stylistique, puis, dans Principes fondamentaux de l'histoire de l'art (1915 ; trad. franç. 1952), un jeu de polarités permettant de caractériser l'alternance entre deux grands champs stylistiques, comme le passage de la Renaissance classique à l'art du xviie siècle. Ce système de polarités, il faut le souligner, faisait du classicisme un horizon artistique perpétuel en même temps qu'une norme. Mais en dévoilant la structure esthétique des possibles à travers l'énonciation des polarités stylistiques, Wölfflin entendait s'affranchir des schémas d'explication sociale des mutations artistiques.
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Écrit par
- François-René MARTIN : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre
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