FORMALISME
Formalisme et logicisme
C'est au xixe siècle que se constitue véritablement la formalisation mathématique. Mais on peut dire schématiquement que sa genèse est partagée. D'un côté, elle procède du développement de l' algèbre abstraite et de l'extension de la notion de calcul dans le cadre d'une conception formaliste des mathématiques. De l'autre, elle devient le moyen nécessaire à l'analyse des concepts fondamentaux des mathématiques dans le cadre d'une philosophie logiciste.
La formalisation du calcul algébrique
Aux yeux des algébristes anglais (comme Peacock, De Morgan, Hamilton) et allemands (Grassmann, Hankel) du milieu du xixe siècle, la permanence du concept de nombre à travers ses extensions successives, qui n'est ni celle d'une représentation concrète, ni celle d'une évidence intellectuelle, est celle d'un symbolisme : le calcul sur les nombres complexes, sous réserve de définitions convenables des opérations algébriques, peut en effet s'écrire de la même façon que le calcul sur les entiers, les rationnels et les réels. Il obéit aux mêmes règles opératoires de commutativité, d'associativité et de distributivité. Un système de « nombres » n'est donc pas autre chose qu'un système d'objets pour lesquels ces règles opératoires sont valides. Le concept de nombre, le concept des règles du calcul est en un sens un concept purement « logique ». Il est important de noter que la « logique » ou « algèbre » de Boole représente précisément une extension de ce type. Or, on sait aujourd'hui qu'elle s'applique aussi bien au calcul des propositions qu'aux structures de réseaux électriques (ce qui en a fait un instrument privilégié de l'informatique).
Le point de vue qui s'exprime dans l'idée de calcul formel réduit par là le « sens » des concepts traditionnels aux règles de leur usage, et le distingue nettement d'une interprétation ou d'une représentation, réduites au statut d'« exemplification » et d'application. La mathématique formelle définit directement les structures opératoires « abstraites » et n'a aucun besoin d'en préciser d'abord l'interprétation intuitive, ce qui est une démarche extra-mathématique. De là un déplacement de l'objet de la science : celle-ci ne consiste pas à pratiquer et développer le calcul à son propre niveau, mais, puisque son essence réside en fait dans la mise en œuvre des règles, à définir, expliquer, et, éventuellement, varier et généraliser ces règles mêmes. Après avoir dégagé la notion générale de loi de composition, on élargit le champ de l'algèbre en définissant de nouveaux systèmes de « nombres » (par exemple les quaternions de Hamilton, définis par analogie avec les nombres complexes comme systèmes de quatre nombres réels, mais dont le produit n'est plus commutatif) et en construisant des calculs symboliques dont l'interprétation est tout à fait étrangère au domaine numérique (par exemple le calcul vectoriel, le calcul matriciel).
Ainsi, le formalisme apparaît comme capacité de créer des objets mathématiques nouveaux en définissant leur structure abstraite selon un mouvement que J. Cavaillès appelait le « moment de la variable, remplaçant les déterminations d'actes par la place vide pour une substitution ».
Il permet d'unifier la mathématique en reconnaissant la structure des relations identiques dans lesquelles sont des « objets » d'ailleurs différents. Il conduit à définir la particularité « concrète » des notions mathématiques comme combinaison complexe de plusieurs structures de relations formelles. L'œuvre de N. Bourbaki a représenté en France, jusqu'à une date récente, l'aboutissement de ce point de vue.
Méthode axiomatique et formalisme[...]
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Écrit par
- Étienne BALIBAR : philosophe, professeur à l'université de Paris-I
- Pierre MACHEREY : maître assistant à l'université de Paris-I
Classification
Média
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