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FORME

Les apories de l'objectivité morphologique

Les approches perceptives et sémantiques du concept de forme que nous venons d'évoquer relèvent pour la plupart d'un mentalisme représentationaliste. Nominalistes et solipsistes, elles admettent la réalité psychologique des représentations mentales mais refusent toute valeur ontologique aux contenus de ces représentations. Elles se heurtent donc au problème du dépassement du solipsisme. De nombreux auteurs (Putnam, Searle, Dreyfus...) ont dénoncé dans la conception du cognitivisme dont elles s'inspirent une impuissance à résoudre « le problème des problèmes », à savoir celui de l'orientation de la conscience phénoménologique vers le monde extérieur, celui de l'intentionnalité.

Représentationalisme et intentionnalité

Le problème n'est pas nouveau. À partir du moment où l'on adopte une conception représentionnaliste faisant de la perception un processus s'édifiant à partir de la transduction sensorielle, on se condamne à faire de l'apparaître phénoménal une apparence subjective-relative n'ayant d'autre contenu objectif que celui d'une information physique conçue au sens physicaliste du terme. Il devient par conséquent impossible de définir une objectivité de la structuration qualitative du monde. Mais alors, comment la conscience peut-elle rejoindre le monde ? Elle ne rejoint qu'un monde projeté, c'est-à-dire elle-même (solipsisme). Si on considère que le solipsisme n'est pas philosophiquement acceptable, on devra donc résoudre le problème suivant : comment la conscience peut-elle rejoindre des transcendances objectives ? Or, comme l'a remarqué Roger Chambon, il est impossible de penser une ouverture constitutionnelle de la conscience vers la transcendance du monde à partir de l'exercice de la réceptivité sensorielle. Il faut une transcendance de l'apparaître lui-même, de l'apparaître comme présence, qui soit préalable au processus de perception proprement dit. « Le problème posé est extraordinaire et, à la vérité, sans égal » (Chambon, p. 38, 1974). Si on disqualifie tout réalisme perceptif pour faire du phénomène une représentation, alors le monde « préalable » devient inaccessible et indémontrable (solipsisme). Son objectivité devient de pure extériorité. Elle se réduit à la légalisation physique de la phénoménalité. Or, précisément, cette légalisation elle-même forclôt le principe d'organisation morphologique de l'apparaître. D'où un dualisme opposant une subjectivité constituante autarcique à une objectivité légalisée mais privée de toute structuration interne (de toute bildende Kraft). La légalisation et la détermination physique des phénomènes entrent dès lors en conflit avec l'idée d'une phénoménalisation objective. L'idée d'un monisme naturaliste conduit à remettre en question ces conséquences inéluctables de toute approche représentationaliste.

Étant donné la façon même dont la question est posée, il n'existe que deux grandes possibilités de solutions à cette aporie du dualisme. Soit on dépsychologise l'apparaître et on transforme corrélativement le concept d'objectivité de façon à pouvoir le lui attribuer. C'est la voie de la phénoménologie husserlienne. Soit on adopte une conception « émergentielle » de l'apparaître. C'est la voie « phéno-physique » et morphodynamique dont il sera question plus bas.

Phénoménologie et éidétique descriptive

Un des apports essentiels de Husserl a été d'avoir réussi à dépsychologiser le concept brentanien d'intentionnalité et à le coupler à la thèse que l'être se phénoménalise.

Dans la corrélation noético-noématique, les corrélats intentionnels (les contenus objectaux) des actes noétiques (des synthèses aperceptives)[...]

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  • : ancien élève de l'Ecole polytechnique, docteur es lettres et sciences humaines, vice président de l'International Association for Semiotic Studies, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.

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