- 1. Forme et phénomène
- 2. La disjonction transcendantale entre phénoménologie et physique
- 3. La subjectivisation du concept de forme
- 4. Les apories de l'objectivité morphologique
- 5. Éléments de phénophysique
- 6. Le programme de recherche d'une morphodynamique
- 7. Ontologie qualitative et physique du sens
- 8. Bibliographie
FORME
Éléments de phénophysique
Nous voyons donc que, quelles que soient l'époque et la perspective (métaphysique, psychologique, phénoménologique, objectiviste), la pensée du concept de forme a toujours été fondamentalement limitée par un obstacle épistémologique majeur : l'impossibilité de penser physiquement la phénoménalisation de la matière comme un processus naturel. Le niveau de réalité « écologique », qualitatif, structural et dynamique qu'est le niveau morphologique n'a, répétons-le, jamais réussi à être pensé jusqu'ici comme un niveau de réalité émergent. Pour fixer la terminologie, nous utiliserons le néologisme de « phénophysique » pour ce concept de niveau morphologique émergent du niveau physique. Un peu comme en biologie, le génotype s'exprime dans le phénotype, la physique au sens physicaliste peut être conçue comme une « génophysique » s'exprimant phénoménologiquement – se phénoménalisant – en une phénophysique, en une « phusis phénoménologique ». L'évidence, qui est à l'origine de toutes les apories que nous avons évoquées, est par conséquent qu'il n'existe pas de niveau phénophysique.
Cette évidence a été radicalement remise en cause depuis la fin des années soixante et les physiciens ont élaboré de nombreux éléments de phénophysique.
Caustiques et optique écologique
D'abord, on peut donner raison à Gibson en ce qui concerne l'idée que des discontinuités constitutives de morphologies peuvent être véhiculées par la lumière. Nous considérerons le cas le plus simple, celui des caustiques.
Dans l'approximation de l'optique géométrique dans un milieu homogène et isotrope, les caustiques sont faciles à décrire. Soit S0 une surface émettrice de rayons lumineux, c'est-à-dire un front d'onde initial dans R3 . S0 évolue au cours du temps t parallèlement à lui-même et les rayons sont les droites normales à la famille de ces fronts d'onde St. Ce qui peut rendre la propagation non triviale en introduisant des singularités sur les St est l'existence d'une enveloppe C des rayons. Si elle existe, elle est dite caustique de la propagation. Sur C, l'intensité lumineuse devient « infinie ». Elle diverge dans l'approximation de l'optique géométrique. C'est pourquoi, dans un médium lumineux où l'on a interposé un écran, seules les caustiques sont observables.
L'intérêt des caustiques manifestées est qu'elles sont de pures morphologies. Contrairement aux contours apparents, elles ne sont pas liées à des objets matériels distaux. Et, pourtant, elles fournissent un exemple typique de composantes de l'esquisse 2½-D de Marr. D'origine physique, elles sont également de pures saillances perceptives. Comme l'a remarqué Michael Berry, elles dominent les images optiques et sont phénoménologiquement structurantes. Elles sont donc particulièrement aptes à permettre de tester l'hypothèse d'une optique « écologique ». Or, contrairement à ce qu'on pourrait croire, la physique actuelle donne raison à Gibson.
Toute propagation d'ondes lumineuses dans R3 (coordonnées q) est une solution v(q, t) de l'équation des ondes Dv = 0, où D est l'opérateur différentiel hyperbolique :
(Δ est le laplacien et la vitesse de la lumière est c = 1). Les solutions stationnaires de fréquence τ sont de la forme v(q, t) = eiτt u(q) (séparation des variables spatiales et temporelles) où u(q) est une amplitude satisfaisant Dτ(u) = 0 avec, comme condition initiale, une fonction donnée u0(q) sur la surface source S0. Dτ est l'opérateur différentiel τ2 + Δ.L'approximation de l' optique géométrique correspond à une longueur d'onde λ = 0, c'est-à-dire à une fréquence τ = ∞. Mais, pour τ = ∞, l'opérateur D[...]
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Écrit par
- Jean PETITOT : ancien élève de l'Ecole polytechnique, docteur es lettres et sciences humaines, vice président de l'International Association for Semiotic Studies, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
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