- 1. Forme et phénomène
- 2. La disjonction transcendantale entre phénoménologie et physique
- 3. La subjectivisation du concept de forme
- 4. Les apories de l'objectivité morphologique
- 5. Éléments de phénophysique
- 6. Le programme de recherche d'une morphodynamique
- 7. Ontologie qualitative et physique du sens
- 8. Bibliographie
FORME
Ontologie qualitative et physique du sens
Les remarques qui précèdent indiquent qu'il est légitime de penser qu'on dispose à l'heure actuelle d'éléments de phénophysique aussi bien sur le plan technique que sur le plan épistémologique. Sur cette base, il est justifié de reprendre de fond en comble le problème phénoménologique et ontologique de la forme. Ce programme de recherche dépasse la physico-chimie et la thermodynamique en tant que telles, même dans ce qu'elles ont de plus nouveau. En effet, il consiste à mettre ces nouveautés mêmes au service des sciences biologiques et humaines de façon à conférer un contenu physico-mathématique précis aux concepts fondamentaux – aux catégories régionales – d'(auto)-organisation et de structure.
Morphogenèse biologique et structuralisme
Le problème de la forme est évidemment particulièrement critique en biologie. C'est même l'écart apparemment irréductible entre la physique classique et les énigmes de l'embryogenèse qui ont conduit nombre d'éminents biologistes du xixe siècle au vitalisme spéculatif. Il est donc nécessaire de faire quelques brèves remarques épistémologiques à ce sujet.
Actuellement, on considère que le néo-darwinisme – c'est-à-dire la synthèse de la théorie darwinienne de l'évolution et de la génétique moléculaire – fournit un cadre approprié pour la pensée de la forme en biologie. Le code génétique code pour la structure primaire des protéines, et, à partir de là, des phénomènes physico-chimiques et thermodynamiques d'auto-assemblage supramoléculaire et de cinétique métabolique conduisent aux divers composants (ribosomes, cellules, tissus, etc.) et aux subtiles et complexes propriétés structurales et fonctionnelles de l'organisme. Mais il faut bien voir que de tels phénomènes sont prototypiques de ceux qu'étudient les approches morphodynamiques, et que donc, sans un usage massif de ces dernières, il est impossible de comprendre correctement l'expression phénotypique (macroscopique, morphologique et non pas microscopique, physico-chimique) du génotype. Par exemple, dans une série de travaux remarquables, Yves Bouligand a montré que de nombreuses textures biologiques possédaient les mêmes symétries que les cristaux liquides. Certaines « phases » biologiques sont formellement des phases mésomorphes. On y retrouve donc la même topologie des défauts. Ces défauts – qui sont des brisures locales de symétrie – jouent sans doute un rôle capital dans les processus de morphogenèse. Le réductionnisme de la biologie moléculaire doit donc naturellement se compléter d'un structuralisme morphologique approprié.
Ce point a été bien vu par les biologistes B. Goodwin et G. Webster à la suite du grand embryologiste Waddington. Le structuralisme s'oppose à l'empirisme historiciste néo-darwinien non pas au niveau des faits, mais comme un point de vue rationaliste selon lequel ce sont des concepts a priori (des catégories et des principes) qui commandent l'explication théorique des données empiriques. Le problème central est de savoir quel est le type de catégorialité dont il faut disposer pour faire accéder le concept de forme à l'intelligibilité. Or le paradigme néo-darwinien est un système conceptuel dont l'apparente « évidence » rend précisément inintelligibles les phénomènes morphologiques. Il ne peut que les attribuer à un hasard évolutif en niant toute nécessité dans l'ordre des formes, toutes « lois » de la forme.
Cela est essentiellement dû au fait que, dans ce paradigme, on identifie subrepticement le concept de contrôle à la catégorie de cause. Le génome contrôle la forme et le développement. Son contrôle permet donc de maîtriser ses effets. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas de contraintes autonomes[...]
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Écrit par
- Jean PETITOT : ancien élève de l'Ecole polytechnique, docteur es lettres et sciences humaines, vice président de l'International Association for Semiotic Studies, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
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