FORMULE, chimie
Ce qu'une formule raconte
Toute formule récapitule une histoire, à commencer par celle de sa propre élaboration. L'eau ne fut pas toujours H2O. John Dalton (1766-1844), au début du xixe siècle, hésitait entre les trois formulations HO, HO2 et H2O. L'indétermination ne fut résolue qu'au bout de plusieurs décennies. Les chimistes se déchirèrent à ce propos en une « querelle des équivalents ». Cela aboutit à la détermination sûre des masses atomiques, H = 1, O = 16, un prérequis pour l'écriture des formules.
Mais bien d'autres récits ont trait à cette même formule H2O. Qu'elle représente une molécule coudée plutôt que linéaire a parmi ses conséquences l'assemblage des molécules d'eau en un réseau à trois dimensions. Bien que cet assemblage soit assez lâche, il en résulte des températures de fusion et d'ébullition anormalement élevées, la moindre densité de la glace comparée à celle de l'eau, et la vie sur notre planète, pour ne citer que trois des déductions auxquelles donne lieu la formule H2O.
Pour revenir sur CO2, ses atomes sont animés d'un mouvement incessant. Il déforme la molécule à partir de sa structure moyenne, linéaire et symétrique comme on l'a vu. Les atomes sont engagés dans des vibrations d'élongation, symétrique – les deux O s'écartant ou se rapprochant de C ensemble – et antisymétrique – les deux O faisant de même, mais en opposition de phase. Une autre vibration déforme CO2 en un triangle, par ouverture ou pincement de l'angle OCO. Ces diverses vibrations moléculaires de CO2 absorbent le rayonnement infrarouge. L'une d'elles le fait très fortement. Cela explique l'effet de serre imputable à cette molécule. Le chimiste suédois Svante Arrhenius (1859-1927) l'annonça dès 1896.
La formule de la pénicilline est, elle aussi, nourrie d'une riche histoire, et rappelle des conflits mémorables. Dans les années 1930 et 1940, deux laboratoires se faisaient concurrence pour établir cette formule, celui de sir Robert Robinson (1886-1975) à Oxford (Angleterre) et celui de Robert Burns Woodward (1917-1979) à Cambridge (Massachusetts). Le Britannique et l'Américain étaient deux titans de leur profession, et furent l'un et l'autre salués d'un prix Nobel. Robinson tenait, mordicus, pour une formule de la pénicilline, qui se révéla fausse. Woodward eut l'intuition de la formule juste.
Ce savoir présentait un intérêt plus qu'académique. Durant la Seconde Guerre mondiale, les Alliés avaient résolu de doter leurs troupes de cet antibiotique, atout majeur durant la guerre du Pacifique. Il leur fallait donc le produire en quantités massives. La synthèse chimique exigeait la connaissance de la bonne formule. L'effort scientifique consenti par les Anglo-Américains fut comparable, par son ampleur comme par le secret dont il fut entouré, au projet Manhattan par lequel les États-Unis se dotèrent de l'arme nucléaire.
Une formule, celle de la pénicilline. Aux récits de sa détermination exacte et de l'industrialisation de sa préparation s'en ajoute un troisième, celui des éléments structuraux de cette formule expliquant l'inactivation d'une enzyme et, partant, l'inhibition de la construction de leur paroi par les bactéries : car tel est le mode d'action de cet antibiotique.
Retenons que la science déchiffre les cryptogrammes que nous présente la nature et qu'elle les tourne en des textes, non seulement intelligibles, mais d'une lecture fascinante.
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Écrit par
- Pierre LASZLO : professeur honoraire à l'École polytechnique et à l'université de Liège (Belgique)
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