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FORMULETTES

Les formulettes de l'enfance

Une autre variété de formulettes, au moins aussi abondante, est destinée à l'enfance. Eugène Rolland qui, en 1883, a jeté les premières bases d'une recherche dans ce secteur a préféré parler de « rimes et jeux de l'enfance », ce qui de toute façon est préférable à l'expression comptinesouvent utilisée de nos jours et qui ne désigne qu'un sous-ensemble de formulettes enfantines.

L'expression « formulettes enfantines », qui est commode, peut désigner et désigne de plus en plus cet énorme matériel que Rolland a commencé à inventorier et dont la collecte, l'identification et le classement se poursuivent : chansons, jeux, rondes, devinettes, phrases-incantations, tantôt rimées et tantôt assonancées, à la fois verbales et mimées et qui accompagnent l'enfant tout au long de son développement. Elles bercent ses premiers sommeils, rythment ses premiers gestes et les harmonisent en jeux (« Ainsi font-font-font les petites marionnettes »), lui apprennent à inspecter et à reconnaître ses mains, ses doigts ou les diverses parties de son visage (« Nez cancan – Bouche d'argent – Menton de buis », etc.), le font rire quand il pleure ou lui suggèrent un rite rassurant quand il est inquiet ou nerveux. Cette énumération ne donne qu'une idée bien insuffisante de la variété des formulettes et de la diversité de leurs fonctions. Il en existe pour toutes les circonstances de la vie, la faim et la soif, la colère et l'ennui et aussi pour le besoin de s'enivrer de mots, lesquelles ne sont pas pour autant de pures jongleries verbales car une phrase apparemment sans aucun sens pour un adulte peut en avoir un pour un enfant et contenir des associations d'idées, des comparaisons, des jugements négatifs, des prises de conscience qui contribuent à son développement : « Quand j'étais petit, je n'étais pas grand [...] »

Les plus connues des formulettes enfantines sont les comptines du type « Am-stram-gram – Pic et pic-et colégram [...] » qui, comme leur nom l'indique, servent à compter : apprentissage rationnel mais qui garde pour l'enfant un caractère rituel. Il distingue sans doute les divers éléments du groupe et admet le principe d'une unité et d'un mode de numération, mais le matériel qui sert au comptage est hétérogène et composé de formules volontairement surprenantes et le cérémonial adopté superpose au hasard de la logique la notion d'une volonté confuse : reflet et symbole des petites sociétés enfantines traversées de tensions violentes et généralement passagères.

Comme toutes les expressions artistiques de voie orale, les formulettes sont menacées par la diffusion de l'imprimé et des moyens modernes de communication ; mais il serait erroné de transformer cette remarque en pétition de principe. Ces moyens modernes (par exemple la grande collecte menée à la Radiodiffusion française par Philippe Soupault et Jean Bacaumont) ont constitué aussi un facteur de stabilisation et de conservation. Les formulettes sont par surcroît une expression artistique extrêmement persistante, parce qu'elle se transmet par un double canal : celui des pratiques éducatives (rôle des mères et des grands-mères) qui rattachent les traditions aux fonctions dont elles sont issues et celui des souvenirs d'enfance qui, associés à des jeux, se révèlent particulièrement stables.

N'est-il pas abusif de considérer ces formulettes comme « une expression artistique » ? C'est une question que l'on peut évidemment se poser. La réponse est toutefois affirmative si l'on quitte la perspective d'une littérature « pure », si l'on réfère l'expression humaine à sa fonction, si l'on consent à appeler poésie toute forme affectée d'un « charme » qui l'impose à la mémoire et qui[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur émérite à l'université de Paris-VII-Jussieu

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