DEPERO FORTUNATO (1892-1960)

Né à Fondo, dans la province du Trentin alors austro-hongroise, formé dans le sillage du symbolisme pictural, Fortunato Depero n'établit le contact avec la scène futuriste romaine qu'en 1913. Influencé par Giacomo Balla dont les toiles mettent en œuvre une décomposition rationnelle du mouvement et de la vitesse, impressionné par la liberté formelle d'Umberto Boccioni, Depero adopte très vite les préceptes futuristes. Dès 1914, il participe à l'exposition libre futuriste internationale. En 1915, alors qu'il réalise un Autoportrait futuriste, une photographie le représentant le poing rageur prêt à s'abattre, entourée du nom de l'artiste répété en noir et rouge, Depero signe le texte Complexité plastique, synthèse théorique du futurisme, et entre officiellement dans le groupe. Il abandonne momentanément la peinture au profit d'un travail abstrait sur le volume à partir de matériaux pauvres plutôt inhabituels, comme le carton ou le bois peints avec des couleurs acidulées. Ses œuvres traduisent d'une manière synthétique et géométrique des sons, des émotions, des perceptions visuelles et des états d'âme, se gardant bien de toute illustration. L'art de Depero parvient à un affranchissement formel tout en appliquant strictement les principes futuristes. Dans ses dessins, il appelle à la guerre libératrice mais explore aussi la magie, le spiritisme, l'imaginaire ou les contes populaires. Très rapidement, son intérêt se porte sur le théâtre et les ballets. Juste après sa première exposition personnelle en 1916, il dessine les costumes d'un ballet, Mimismagia. Serge de Diaghilev le remarque et lui commande le décor et les 35 costumes plastiques-mobiles pour le Chant du Rossignol mis en musique par Stravinski. Malheureusement le projet, trop ambitieux, ne se réalisera pas. Mais Depero exploitera ses costumes dans ses propres Ballets plastiques, conçus en collaboration avec Gilbert Clavel. Mélange de marionnettes réalisées par l'artiste et de costumes portés, ces ballets rencontrent un franc succès, tout d'absurdité et d'aspirations surréalistes. À la fin de la guerre, il met au point des tableaux réalisés à partir d'assemblages de morceaux de feutrine de couleur vive. Afin de les réaliser et de donner une pleine mesure à toutes ses aspirations, il fonde en 1919 à Rovereto la Casa d'arte futurista, véritable atelier de confection textile mais aussi agence de publicité, d'architecture intérieure et de design. Depero enchaîne les commandes d'aménagements et réalise des vêtements pour le 1^er Congrès international du futurisme en 1924. La même année, son ballet de costumes-locomotives Anihccam del 3000 est joué dans pas moins de 28 villes italiennes. Lors de l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels de Paris en 1925, Depero met en application ses réflexions sur un intérieur entièrement futuriste, du mobilier aux jeux pour enfants, des vêtements aux tapisseries. Il sera largement récompensé pour son style narratif, mêlant traditions populaires et une foi sans réserve dans le progrès technique matérialisé dans des résolutions géométriques et un sens du dynamisme violemment coloré. Surtout, Depero excelle par son génie publicitaire. Il réalise plusieurs campagnes pour Campari et son fameux « livre boulonné » Depero futurista (1927), emblème du second futurisme, publié par Dinamo-Azari. Fidèle au futurisme, mais éloigné des dérives politiques du groupe, puis isolé à Rovereto, Depero achèvera sa vie par un grand projet, le premier musée du futurisme italien. Plutôt que d'adopter un principe historiographique, l'artiste y signe une de ses plus belles réalisations d'art total avant de décéder en 1960.

— Bénédicte RAMADE