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FOULE

Que la question de la psychologie des foules ne soit apparue qu'au xixe siècle s'explique peut-être par le fait qu'avec les sociétés industrielles nous voyons se développer le phénomène de l'entrée des masses dans la vie publique, l'intervention du nombre comme facteur politique, le poids arithmétique des majorités contre les élites. C'est, en tout cas, la raison que se donne Gustave Le Bon, publiant, avec La Psychologie des foules, la première recherche psychosociologique sérieuse du phénomène, et qui écrit : « D'universels symptômes montrent, dans toutes les nations, l'accroissement rapide de la puissance des foules. L'avènement des foules marquera peut-être une des dernières étapes des civilisations d'Occident... »

Le Bon fait de la foule une entité où les individus sont fondus en une unité soumise à une âme collective. Car la foule a sa propre nature psychique. La foule est « féminine », impulsive, mobile, irritable, dominée par une mentalité « magique », puisqu'on voit les foules ne supporter aucun délai entre le désir et sa réalisation, être extraordinairement influençables et crédules, mues par des sentiments simples, guidées par des images ou des mots qui fonctionnent comme des formules magiques.

On peut regrouper en trois thèmes la description que Le Bon donne du phénomène de foule (une description dont Freud, qui récuse les explications de Le Bon, dit — dans Essais de Psychanalyse — qu'elle est exacte) :

l'individu faisant partie d'une foule acquiert, par la seule vertu d'être en groupe, un sentiment de puissance invincible qui lui permet de passer les barrières qui, habituellement, arrêtent ses instincts ;

la contagion mentale explique que l'individu qui suit les impulsions de la foule sacrifiera son intérêt personnel à celui de la foule. Cette contagion mentale est la manifestation d'un facteur plus profond, la suggestibilité ;

cette suggestibilité semble s'apparenter aux phénomènes de l'hypnotisme. Tous ces caractères, il est difficile de ne pas les regrouper en un seul qui nous est offert par Freud : la régression psychique. La cause, le moteur de cette régression, pour Le Bon, c'est le meneur, car « la foule est un troupeau qui ne saurait se passer de maître » ; un maître en qui il voit un illuminé, recruté parmi « ces névrosés, ces excités, ces demi-aliénés qui côtoient les bords de la folie ».

La psychologie sociale et la sociologie n'en sont pas restées aux théories un peu romantiques de Gustave Le Bon.

En premier lieu, les psychologues sociaux remettent en question l'idée que les comportements de foule sont des comportements spontanés, sorte d'excitations collectives qui évoqueraient les convulsionnaires de Saint-Médard. Ils montrent l'existence de normes de comportements qui fonctionnent dans des mouvements aussi apparemment « fous » que le lynchage, la panique, etc. Des enquêtes l'ont révélé : les lynchages, par exemple, ont un caractère conventionnel, ritualisé, si l'on peut dire ; ils se différencient selon la composition sociale de leurs foules. Une foule composée de gens riches, de notables, fera des lynchages bien ordonnés, visant au châtiment du coupable ; une foule composée de pauvres, voire de déclassés, aura des lynchages désordonnés, frappant au hasard.

Par ailleurs, l'unanimité mentale au sein des foules est contestable. En fait, il y a une grande différenciation dans les attitudes des individus en fonction de leurs prédispositions psychologiques.

La découverte qu'on n'est jamais en présence, en sociologie des groupes, d'une masse anonyme composée d'unités homogènes, et d'où toute structuration interne serait exclue, est concomitante de la découverte, en sociologie de l'information, que les mass media n'ont[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne

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