FOURIÉRISME
L'Harmonie
Fourier croit découvrir entre les passions des rapports analogues à ceux qui existent entre les termes des proportions mathématiques. Il peut donc former des séries de groupes d'individus comme on forme des séries mathématiques, trouver un ordre des caractères et des goûts, qui les pose les uns par rapport aux autres et démultiplie sans fin leurs discriminations. Des séries simples on passe aux puissantielles, susceptibles d'intégrer des « milliards de variables », car la puissance de la dynamique passionnelle est insondable, de même que les termes des séries mathématiques sont indéfinis. Cette double illimitation permet de faire coïncider la préfinalité mathématique et les possibles réels du désir. On ne saurait donc comprendre l'Harmonie sociale de Fourier si l'on néglige l'un de ses pôles, l'analyse des variantes infinitésimales du désir ou les différentes modalités de l'ordre sériaire. Il faut « montrer, dit Marx, comment Fourier a été conduit aux séries [...] De telles constructions, absolument comme la méthode hégélienne, ne peuvent être critiquées qu'en montrant comment il faut les faire et en prouvant ainsi qu'on les domine. »
Puisque le fouriérisme fait problème, il faut pouvoir recourir à tous les textes de Fourier et suivre, à travers les morceaux épars publiés au petit bonheur et les cahiers occultés, le fil d'Ariane de sa pensée.
Tandis que l'œuvre écrite se heurtait à l'opposition et au mépris de tous ceux qui défendent les règles du passé, le fouriérisme pratiqué lui faisait faire un chemin souterrain. Limitées au réalisable immédiat, les épreuves du système en offrent une image appauvrie. On est bien loin, dans les « phalanstères d'essai », de tous les développements de la « gastrosophie » (ou de l'art de concilier les plaisirs de la cuisine et la santé) et des « mœurs phanérogames » (ou du libre exercice de toutes les formes d'amour). Mais Fourier n'avait-il pas prévu qu'il faudrait plusieurs générations avant d'aborder la société « composée [...] insatiable de jouissance » ? « L'Harmonie innovera brusquement sur les coutumes d'ambition, d'économie domestique et industrielle, mais elle ne procédera que par degrés sur les innovations religieuses et morales qui heurteraient les consciences. » Les disciples actifs s'en tenaient donc à bon droit à l'« embryon simple », qui suppose : l'association en vue de la production et de la distribution des biens nécessaires, le passage de « la fausse industrie, morcelée, répugnante » aux efforts « combinés », au « travail attrayant », et la conversion du « commerce mensonger » des intermédiaires parasites en « commerce véridique » et direct ; la répartition des profits selon trois parts inégales et proportionnelles au capital, au travail et au talent.
Ce programme restreint n'allait pas sans difficulté. « C'est un problème effrayant », reconnaît l'intrépide utopiste, « que celui de mettre le genre humain en attraction industrielle. » La solution implique non seulement l'association, mais la possibilité d'offrir à chacun les activités qui répondent à ses goûts, c'est-à-dire l'ordre « sériaire », où les travaux « parcellaires » et les « courtes séances » donnent aux harmoniens le loisir de s'essayer et d'exercer leurs diverses vocations. Il en existe « trente au moins pour chaque individu » et « si on les ignore en civilisation, c'est que l'on n'a aucune méthode ni pierre de touche pour déceler et faire éclore tous les germes ». Les séries sont la condition d'un apprentissage permanent qui renvoie d'ailleurs à la première éducation. La nature humaine, en effet, n'est pas simple, « les hommes n'ont pas d'instincts fixes comme les animaux, mais des facultés illimitées, se développant de siècle en siècle ». C'est[...]
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Écrit par
- Simone DEBOUT-OLESZKIEWICZ : attachée de recherche au C.N.R.S.
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