FOURIÉRISME
Les phalanstères
Ces dispositions supposent la société entière et le grand air du monde. Pourtant Fourier croyait possible d'organiser un « phalanstère » ou « phalange », en associant 810 caractères différents des deux sexes (soit 1 620), qui représentent l'âme humaine intégrale. Chaque individu, en effet, n'est que la 810e partie de l'âme : il possède le fonds commun des douze passions primitives, mais en une proportion et répartition singulières, et ce n'est que par le jeu des accords et des oppositions qui naissent de ces différences que se constitue l'âme entière entre les hommes – non par l'individu isolé. D'ailleurs les passions dénombrées ne sont pas des contenus réels de conscience, mais le sens d'un élan originel, qui se diversifie en nuances indéfinies, et que l'on peut ramener au « foyer ou tige passionnel », « l'unitéisme, souche et but de toutes les autres passions ». Entre ces extrêmes, Fourier distingue « les cinq sensitives qui tendent à l'exercice plein des cinq sens, les quatre affectives qui tendent à former les groupes d'amitié, ambition, amour et familisme, et les trois distributives, méconnues ou décriées mais infiniment précieuses », car elles « tendent aux séries » ; ce sont « la composite, enthousiasme tout divin », qui unit des êtres distincts ou la chair et l'esprit, « la cabaliste, fougue spéculative, esprit de parti » et de rivalité, et « la papillonne ou besoin de variété », de contrastes et d'alternats. Toutes les passions jettent l'individu hors de soi, le décentrent et l'agrandissent. Elles représentent un plus, sinon un bien, et « l'égoïsme n'est que la contremarche » de cet unitéisme multiforme.
Une phalange par conséquent aura des frontières sans limite, elle devra gagner de proche en proche tout le globe, uni en une vaste fédération. Il importait donc que la première tentative fût réussie. Fourier, qui la souhaitait passionnément, n'eut pas le bonheur de la diriger. Le seul essai projeté durant sa vie, à Condé-sur-Vesgre en Seine-et-Oise, se borna, faute de crédit, à l'achat de quelques hectares de bruyère. Par la suite on alla plus avant, jamais très loin : ce furent le « Commerce véridique et social » à Lyon de 1835 à 1838, la « Colonie sociétaire de Cîteaux » en Côte-d'Or de 1840 à 1844, l'« Union agricole de Saint-Denis-du-Sig » (Algérie) en 1846, la « Société de colonisation au Texas » menée par Victor Considérant, avec des fortunes diverses, entre 1850 et 1860, le « Familistère de Guise » dans l'Aisne, de 1867 à 1878, et toute une série de projets, allant du phalanstère strict aux réunions idéologiques ou religieuses, des groupes de « sociantisme » ou « garantisme » (vocables par lesquels Fourier désigne un système général d'assurances, transition possible à l'Harmonie). L'école fouriériste envisagea la transformation des sociétés de secours mutuel en phalanstères, et agit sur tous les mouvements coopératifs. A. de Bonnart prit une part active à cette effervescence, ainsi que Just Muiron, un des premiers disciples, et Pierre Leroux, qui avait violemment critiqué les amours d'Harmonie, et d'autres socialistes chrétiens ou saintsimoniens. L'influence fouriériste s'étendait ainsi bien au-delà de l'école et de la France.
Le premier phalanstère fut organisé en 1844 en Roumanie par un journaliste qui avait séjourné en France. Dénoncé pour « son esprit d'insurrection français », il fut attaqué par la police, ses membres dispersés et les fondateurs emprisonnés. Le fouriérisme eut un développement beaucoup plus important mais non moins tragique en Russie. Herzen et un professeur, Polochine, le firent connaître, Petrachevski fonda un groupe. Tenus pour des conspirateurs,[...]
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Écrit par
- Simone DEBOUT-OLESZKIEWICZ : attachée de recherche au C.N.R.S.
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