FOUZOÛLÎ (1495 env.-env. 1556)
Arabes, Persans et Turcs (Azéris ou Ottomans) se sont accordés pour reconnaître en Fouzoûlî l'un de leurs plus grands poètes « classiques ». La critique moderne le considère unanimement comme l'un des auteurs les plus brillants et les plus représentatifs de la littérature islamique du xvie siècle.
Lettré accompli d'origine turque, Fouzoûlî (Muhammad ibn Sulaymān Fuḍūlī ou, en turc, Mehmet Süleyman Oǧlu Fuzūlī) a écrit avec le même bonheur dans les trois grandes langues islamiques de son temps : l'arabe, le persan et le turc.
Poète polyglotte et théologien
On possède peu d'informations biographiques précises sur Fouzoûlî ; cette carence s'explique en grande partie par les bouleversements politiques survenus dans la région de l'Irak où il vécut.
On peut, par des recoupements, fixer approximativement la date de sa naissance aux environs de 1495. Le lieu n'en est pas connu avec certitude : vraisemblablement Karbalā', mais, en tout cas, une localité de la région de Bagdad. Il était issu de la tribu turcomane des Bayat, dont la langue appartenait au groupe turc-azerbaïdjanais ; ce fait, qui paraît historiquement bien établi, est confirmé par les particularités linguistiques de son œuvre turque. Bien que, dans les vingt dernières années de son existence, sous la domination ottomane sunnite (qui persécutait le shi‘isme), il ait dû faire quelques concessions de forme à l'« orthodoxie », il était de confession shi‘ite.
Son père était un religieux musulman (peut-être un muftī). Lui-même reçut une éducation islamique très poussée, où, à l'étude de la théologie et des sciences traditionnelles, s'alliait une formation littéraire arabe et persane, qui n'excluait pas la connaissance des œuvres turques (en tchaghataï et en osmanli).
Sérieusement instruit dès son jeune âge, il fut un poète précoce, écrivant surtout en sa langue maternelle (turque-azérie) ses premiers vers. On sait qu'il dédia d'abord ses écrits au fondateur de la dynastie persane des Safawides, Shah Ismā‘īl (1486-1524), champion du shi‘isme, lui aussi d'ascendance turcomane et poète turc célèbre sous le nom de Hatāyī, qui avait conquis Bagdad en 1508 sur les Ak-Ḳoyunlu (souverains turcomans du « Mouton blanc »).
En 1534, quand Soliman le Magnifique eut pris à son tour cette ville prestigieuse, Fouzoûlî, devenu ainsi sujet des Ottomans, offrit ses vers, selon la tradition, à ses nouveaux seigneurs. Peut-être en raison de ses attaches shi‘ites, il fut assez froidement accueilli par eux et se plaignit, dans un audacieux et spirituel placet en prose (shikāyet-nāmeh), de leur avarice à son égard. C'est là, pourrait-on dire si l'on ne craignait l'anachronisme, une des plus originales réclamations de « droits d'auteur ».
Plus que de ses écrits, Fouzoûlî paraît avoir tiré sa subsistance de fonctions religieuses relativement modestes, en particulier celles de gardien, à Nadjaf, du tombeau du calife ‘Alī, haut lieu du shi‘isme, d'ailleurs vénéré, aussi, de tous les musulmans.
La seule date précise que nous ayons concernant Fouzoûlî est celle de sa mort : en 963 de l'hégire (soit 1555-1556 de l'ère chrétienne), à Karbalā où il fut enseveli. Une tradition qui paraît digne de foi attribue son décès à une épidémie de peste. Il laissait un fils du nom de Fazlī, qui fut, en son temps, un poète de moyenne renommée.
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Écrit par
- Louis BAZIN : professeur à l'université de Paris-III
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Autres références
-
TURQUIE
- Écrit par Michel BOZDÉMIR , Encyclopædia Universalis , Ali KAZANCIGIL , Robert MANTRAN , Élise MASSICARD et Jean-François PÉROUSE
- 37 012 mots
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...aruz. On pourrait dire de Bāḳī qu'il a, en grand dignitaire de l'Empire, institutionnalisé sa poésie. Non moins imposant est le poète Fuzūlī (1495-1556) vivant à Bagdad, éclipsé aux yeux du Palais et des lettrés d'Istanbul par son éloignement et ses affinités chiites. Mais son lyrisme...