ANGELICO FRA (1400 env.-1455)
Les lieux de la mémoire
C'est ainsi qu'Angelico utilise tous les moyens figuratifs dont il dispose – depuis l'art de Giotto jusqu'à celui de Masaccio, en passant par les Lorenzetti et Lorenzo Monaco – à des fins qui ne sont pas strictement figuratives (au sens où l'on dirait, par exemple, que la peinture renaissante est plus « figurative » que celle du Moyen Âge), mais figurales, au sens où la théologie chrétienne avait fondé toute une conception de l'histoire entendue comme figure du Christ.
Aussi bien, l'homme du Quattrocento selon Fra Angelico (le spectateur de ses tableaux, par exemple) devait-il régler toute sa vie, tous ses regards, toutes ses pensées en mémoire de la faute adamique, de l'incarnation du Verbe, du sacrifice rédempteur de Jésus – et en prévision de la fin des temps, du Jugement dernier. C'est à une telle mémoire et à une telle « pré-vision » que l'œuvre d'Angelico semble vouée tout entière.
L'espace hiérarchisé, complexe et fantastique de ses Jugements derniers ou l'agencement subtil des cellules décorées du couvent de San Marco, tout cela évoque bien, en effet, cet « art » médiéval de la mémoire (ars memoriae) dont les grands théologiens dominicains – Albert le Grand, Thomas d'Aquin – avaient marqué l'Âge d'or. Partout, la pensée médiévale avait rencontré, utilisé cet art de la mémoire : dans ses pratiques de discours (sermons), dans sa plus haute littérature (Dante) comme dans ses plus prestigieuses œuvres d'art (Giotto).
Fra Angelico aura donc renoué avec les principes fondamentaux d'un art – dévot – de la mémoire : art des images colorées, « fortes », « actives », disposées dans des lieux rigoureusement agencés, et capables de s'associer les unes aux autres en un réseau toujours proliférant et encyclopédique, toujours producteur de sens et de poésie. Ce faisant, Angelico répondait exactement à l'exigence théologique formulée à la fin du xiiie siècle par le dominicain Giovanni di Genova : que la peinture soit un lieu d'instruction et de dévotion – bref un lieu figuratif de prédication – mais aussi, et au-delà, qu'elle se constitue comme un lieu de « mémoire du mystère de l'incarnation »...
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Georges DIDI-HUBERMAN : maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias
Autres références
-
AMAURY-DUVAL EUGÈNE EMMANUEL PINEU-DUVAL dit (1808-1885)
- Écrit par Bruno FOUCART
- 439 mots
Sans doute l'un des plus originaux et des mieux doués des élèves d'Ingres, Amaury-Duval se contenta d'une carrière honorable et discrète. Peintre à la production rare, appartenant par sa famille à l'intelligentsia parisienne (son père, membre de l'Institut, fondateur de la ...
-
CLOÎTRES
- Écrit par Léon PRESSOUYRE
- 5 514 mots
- 3 médias
...Dominique. Les grands ensembles de fresques du Quattrocento italien décorent souvent les cloîtres des ordres mendiants. Ainsi, à Florence, les fresques de l' Angelico, intégralement conservées dans les cellules et la salle capitulaire de San Marco, couvraient aussi les galeries d'un cloître de ce couvent, dit... -
DIDI-HUBERMAN GEORGES (1953- )
- Écrit par Maud HAGELSTEIN
- 1 113 mots
Georges Didi-Huberman est né en 1953 à Saint-Étienne. Philosophe et historien de l'art, il enseigne depuis 1990 à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris. Avec plus d'une trentaine de livres publiés depuis 1982, il est l'un des théoriciens de l'image...
-
GOZZOLI BENOZZO (1420-1497)
- Écrit par Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE
- 403 mots
- 2 médias
Après un apprentissage d'orfèvre chez Ghiberti, Gozzoli devient l'élève et le collaborateur de Fra Angelico. Il travaille avec lui à la cathédrale d'Orvieto (1447) et au Vatican, dans la chapelle de Nicolas V (1447-1450). L'art tout imprégné de spiritualité naïve du maître éveille...