ANGELICO FRA (1400 env.-1455)
La peinture comme exégèse
Il n'y a donc pas, dans l'art de Fra Angelico, qu'une simple rhétorique de la prédication destinée à inculquer les vérités chrétiennes fondamentales aux laïcs florentins du xve siècle. Il y a aussi cette exigence d'une « mémoire du mystère », exigence qui se manifeste au plus haut point dans les fresques de San Marco : alors, la peinture porte ses moyens à l'extrême de la concision figurative, méditant les saintes Écritures au-delà de toute istoria, de toute anecdote, au-delà même de toute iconographie au sens classique. En cherchant à toucher l'« œil spirituel », en cherchant à se donner comme un Giardino di orazione (genre d'ouvrages fort médités à cette époque), la peinture d'Angelico se démontre alors comme un très subtil champ d'exégèse.
On voit en effet les significations scripturaires s'épanouir dans toute la peinture d'Angelico à la manière de ces textes immenses qui, au Moyen Âge, faisaient proliférer le sens de chaque mot ou de chaque passage biblique. Dans les principaux thèmes qu'il aura ainsi traités – l'Annonciation, la maternité divine, la Crucifixion, le couronnement de la Vierge –, Fra Angelico se sera attaché, toujours, à dépasser la simple image, la simple représentation des motifs ; et, selon le système canonique de la pensée exégétique, il aura cherché, par-delà chaque histoire (historia), à indiquer une leçon morale (tropologia), une vérité doctrinale (allegoria) et même un support de l'élévation mystique (anagogia).
On comprend mieux pourquoi les dominicains eux-mêmes ont nommé Angelicus ce peintre dont l'activité en soi pouvait être qualifiée de « mondaine », étant liée par essence au non-être et à l'apparence. Mais Fra Giovanni, prêtre dominicain de la branche réformée – la plus austère, vivant dans l'esprit de Catherine de Sienne et de Giovanni Dominici –, situait si haut les exigences doctrinales de son art que celui-ci ne pouvait qu'évoquer l'œuvre-phare de tout cet univers de pensée, à savoir l'œuvre du doctor angelicus, saint Thomas d'Aquin.
Certes, la peinture de Fra Giovanni ne prétendait en rien constituer une « Somme » doctrinale. Mais elle s'apparentait tout de même à ces « Sommes d'exemples et de similitudes » que l'on avait vu fleurir au xiiie et au xive siècle sous la plume des mêmes dominicains cherchant par ailleurs à fonder la grande ratio scolastique.
Deux aspects sont communs à ces Sommes d'exemples (c'est-à-dire d'images littéraires), aux textes de l'exégèse et aux grands cycles figuratifs d'Angelico : leur systématicité, d'une part (à savoir que les éléments y font structure, ne valent que pensés les uns par rapport aux autres), et leur exubérance, d'autre part, à savoir leur force poétique, leur caractère d'« association libre » autour d'un seul et unique mystère – celui, bien sûr, de l'incarnation.
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Écrit par
- Georges DIDI-HUBERMAN : maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales
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