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ANGELICO FRA (1400 env.-1455)

La poétique de l'Incarnation

Ainsi Fra Angelico pensait-il sa pratique « figurative » à travers une notion de la figure qui était bien loin de celle qu'employait, à la même époque, Alberti (à savoir la figure comme aspect d'une chose naturelle, que la peinture se doit de « rendre »). Pour le peintre-prêtre, les figures étaient des signes exégétiques, des signes de mémoire ou de préfiguration – bref les signes de détour hors de l'aspect naturel : on dit que le rocher d'où Moïse fait sortir une source est la « figure » de Jésus- Christ, même si la ressemblance entre un rocher et un messie ne concerne en rien l'aspect de l'un ou de l'autre.

Pour Fra Angelico, les notions de ressemblance ou d'image n'étaient pas affaire d'optique, de géométrie ou de savoir-faire artistique. Elles étaient fondamentalement liées à un mystère (où est l'image de Dieu en l'homme ?) et à une visée eschatologique (quand et comment l'image rejoindra-t-elle son prototype ?). Comme le cheminement progressif de Dante vers la scène finale du Paradis, la peinture de Fra Angelico démontre ainsi une économie fondamentalement anagogique – ce que G. C. Argan a bien nommé un « naturalisme ascendant ».

Or ce « naturalisme ascendant » de Fra Angelico consiste à suivre le même chemin, mais en sens inverse, que celui de l'Incarnation : remonter, depuis l'abjection et le sacrifice de Jésus-Christ, vers l'absolue pureté des hypostases divines. Les moyens picturaux de ce mouvement anagogique sont, chez Angelico, admirables de simplicité et de puissance évocatrice. Nommons-en trois parmi les plus remarquables.

Le premier consiste en des figures matérielles, excessivement corporelles, concrètes, voire traumatisantes, que Fra Angelico répète et martèle d'œuvre en œuvre. C'est, par exemple, le sang du Christ, objet suprême d'obsession organique, que Catherine de Sienne avait proposé à tous ses coreligionnaires, et que Fra Angelico reprend avec une incomparable gravité.

Le deuxième consiste à « dé-naturaliser » le réel, à utiliser toutes les ressources de ce symbolisme dissemblable dont le pseudo-Denys l'Aréopagite avait fondé la grande tradition, et qui aboutit dans les œuvres d'Angelico à des zones de matières volontairement indésignables, confuses, précieuses... comme des « matières d'au-delà ».

Enfin, Fra Angelico pousse à l'extrême l'utilisation du blanc, ce blanc d'une intensité extraordinaire qui domine dans les fresques de San Marco, et qui sait si bien virtualiser le visible, métamorphoser des nuages en matière sépulcrale, une pierre en linceul, ou une simple pâleur en pure luminosité (Le Christ mort avec la Vierge et deux saints de l'Alte Pinakothek, Munich). Blanc du « rien à voir », blanc de l'occhio spirituale que le peintre dominicain portait lui-même comme vêtement – c'est-à-dire comme un symbole devenu une seconde peau.

— Georges DIDI-HUBERMAN

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Fra Angelico : Saint Dominique - crédits :  Bridgeman Images

Fra Angelico : Saint Dominique

<it>Le Jugement dernier</it>, Fra Angelico - crédits :  Bridgeman Images

Le Jugement dernier, Fra Angelico

<it>La Nativité</it>, Fra Angelico - crédits :  Bridgeman Images

La Nativité, Fra Angelico

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