FRANC-MAÇONNERIE
Ordre initiatique, club philosophique, communauté fraternelle, lobby politique ou simple réseau, la franc-maçonnerie a reçu, au cours de sa déjà longue histoire, des définitions et identités variées aux sens souvent contradictoires, sans qu'aucune d'entre elles puisse être considérée comme exhaustive ni tenue pour totalement erronée.
Au xviiie siècle déjà, dans l'une des premières divulgations publiques des usages maçonniques, un auteur avait ainsi mis en garde ses lecteurs : « Pour le public un franc-maçon / Sera toujours un vrai problème / Qu'il ne saurait résoudre à fond / Qu'en devenant maçon lui-même » (Le Secret des francs-maçons, 1744). Plus de 250 ans plus tard, il appartient néanmoins au maçonnologue de surmonter ce dilemme qui n'a pourtant rien perdu de son actualité.
Grandes étapes historiques
Les origines mythiques et les « Anciens Devoirs »
Au cœur du Moyen Âge, des textes écrits par des clercs – et non par les maçons eux-mêmes, illettrés pour la plupart –, assignaient déjà à l'art de bâtir des origines fabuleuses et mythiques. Ces manuscrits anglais, les Anciens Devoirs (Old Charges), dont les plus vieux actuellement connus remontent à la fin du xive et au début du xve siècle (manuscrit Regius, vers 1390 ; manuscrit Cooke, vers 1420), rapportaient en effet une histoire du métier, peu soucieuse de chronologie et de vraisemblance mais riche de sens, traçant le développement de la géométrie et de l'art des maçons depuis le Paradis terrestre, évoquant successivement et sans grand effort de cohérence la Tour de Babel, le Temple de Jérusalem, Pythagore et Euclide. De tels récits ne peuvent révéler toute leur portée que dans le cadre conceptuel de leur époque. Un recours à l'iconographie du xve siècle permet de le comprendre.
Vers 1470, Jean Fouquet, peintre, enlumineur, proche des familiers de Charles VII et plus tard portraitiste à la cour de Louis XI, illustre les Antiquités et guerres des Juifs, de Flavius Josèphe. Une miniature, aujourd'hui conservée à la Bibliothèque nationale de France à Paris, y dépeint le chantier du Temple de Jérusalem, édifié selon la Bible environ 1 000 ans avant notre ère, en s'inspirant des descriptions du Livre des Rois, sous l'aspect d'une magnifique cathédrale du gothique flamboyant, dans le genre de celle de Notre-Dame de Cléry !
Pour un regard moderne, cette scène est monstrueusement anachronique. Pour les artisans du Moyen Âge, la contemplation de cette image familière – au même titre que le récit des Anciens Devoirs – donnait du sens à leur travail de chaque jour : c'était la preuve que, depuis des temps immémoriaux, ils collaboraient à l'œuvre de Dieu.
La maçonnerie opérative
Sans remonter à l'ancienne Égypte – dont la redécouverte inspirera pourtant une partie de la franc-maçonnerie au début du xixe siècle –, on sait que dans la Rome antique, déjà, les artisans et notamment les charpentiers, maçons et tailleurs de pierre se rassemblaient dans les collegia fabrorum, sorte de corporations mi-professionnelles, mi-religieuses, qui les représentaient auprès de César et assuraient l'entraide mutuelle. Après la chute de l'Empire, tandis que pour plusieurs siècles, dans les décombres laissés par les invasions barbares, la civilisation urbaine régressait en attendant des jours meilleurs, rien ne permet de penser que ces collegia se soient perpétués de façon quelconque.
C'est donc, selon toute vraisemblance, une structure nouvelle qui surgit au sein de ces métiers lorsque, entre le ixe et le xie siècle, l'Europe se reconstruit politiquement et surtout se met de nouveau à élever des édifices religieux toujours plus ambitieux. En France, comme en Angleterre ou en Allemagne, vont ainsi apparaître et s'établir pour plusieurs siècles d'innombrables chantiers de[...]
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Écrit par
- Roger DACHEZ : historien de la franc-maçonnerie, président de l'institut maçonnique de France
- Luc NEFONTAINE : docteur en philosophie et lettres, directeur de la chaire Théodore-Verhagen de l'Université libre de Bruxelles
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