FRANC-MAÇONNERIE
Nature, fonctions et dimensions de l'expérience maçonnique
Le secret
Contrairement à une idée reçue, la franc-maçonnerie n'est pas une société secrète ou clandestine, pas plus que les loges et obédiences qui la composent, car on ne peut pas dire que leur existence ne soit connue que de leurs seuls membres. Toutes ont forme juridique – les Journaux officiels en attestent – et ce n'est que dans les pays où elle se trouve interdite ou persécutée que, bon gré mal gré, la maçonnerie fonctionne à couvert. Société discrète, ou mieux « société à secrets », la maçonnerie préserve le secret des tenues (des réunions) en demandant à ses membres de s'engager, par serment, à ne pas répéter ce qui s'y dit, afin de laisser opinions et émotions s'exprimer en toute liberté. Elle cultive en outre le secret d'appartenance, chacun pouvant déclarer qu'il est maçon, mais nul n'étant autorisé à dévoiler le nom d'un frère ou d'une sœur. Une attitude précautionneuse qui fait droit à la préservation de la sphère privée et de l'intimité contre toutes les tentatives collectives d'assujettissement de l'individu. Ces secrets-là sont de nature à conférer à la maçonnerie un caractère mythogène, ils constituent comme un dernier rempart face à la volonté de transparence absolue que revendiquent tous les systèmes totalitaires, en même temps qu'ils font naître un foisonnement de mythes, autant religieux que politiques.
En 1908, dans son étude sur la « société secrète », le sociologue allemand Georg Simmel (1858-1918) pose que sous sa face interne, le secret témoigne d'une relation réciproque entre membres d'un groupe cependant que sous sa face externe, il trace une frontière entre ceux qui le possèdent et ceux qui ne le possèdent pas. La confiance réciproque des membres qui fonde la protection, Simmel la définit comme « la capacité à se taire ». Or la « société secrète » se donne les moyens d'assurer la discrétion, d'une part par la confiance formelle accordée d'office à chaque nouveau membre, d'autre part par le serment et les menaces symboliques de sanction si le silence est rompu. Dans le monde maçonnique, c'est le silence qui assure le secret, et le serment qui en est le garant. Le serment de garder silence, répété lors de chaque initiation, précède donc la communication progressive du secret. Le secret du rite s'exerce non seulement vers l'extérieur mais aussi à l'intérieur, entre initiés de degrés différents.
L'initiation maçonnique
Le rite est la sanction de l'initiation. Comprise comme entrée dans un groupe, l'initiation passe toujours par une cérémonie spéciale, un rite défini une fois pour toutes. L'initiation s'accompagne d'une mise en scène, d'une théâtralisation forcée où chacun doit jouer le rôle qui lui est dévolu. Le rite, qui peut être compris comme un ensemble de symboles agis, se déroule avec un mythe pour toile de fond. Chaque société a ses mythes qu'elle illustre et rappelle au moyen de symboles, et la maçonnerie n'échappe point à la règle.
L'initiation maçonnique ne se fonde pas sur une méthode cathartique (elle ne vise pas à produire une délivrance, une décharge d'affects) et encore moins sur une méthode thérapeutique. Elle devrait s'adresser à des individus qui ont résolu l'essentiel de leurs conflits internes. L'initiation maçonnique est un jeu réel (le ludus de Roger Caillois), plus précisément un jeu de rôle, tenu par tous les frères ou toutes les sœurs de la loge. Un jeu on ne peut plus sérieux. Ce n'est pas seulement l'impétrant qui joue le rôle de l'initié ; il se trouve aussi des initiateurs, des personnes qui font subir l'initiation et ses épreuves. Ce travail de l'initiation (l'étymologie du mot travail[...]
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Écrit par
- Roger DACHEZ : historien de la franc-maçonnerie, président de l'institut maçonnique de France
- Luc NEFONTAINE : docteur en philosophie et lettres, directeur de la chaire Théodore-Verhagen de l'Université libre de Bruxelles
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