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FRANC-MAÇONNERIE

La franc-maçonnerie, société mythogène

La maçonnerie a été et demeure le creuset de bien des mythes. Parce qu'elle manifeste une propension peu commune à drainer tout ce que l'homme occidental a investi dans sa mythologie moderne, parce que ce phénomène s'est déroulé principalement au xviiie siècle, sans s'arrêter cependant par la suite, la maçonnerie va vivre un singulier développement de ses rituels qui va de pair avec un foisonnement mythographique impressionnant ou, selon l'expression de Gilbert Durand, une « énorme minière mythologique. »

De la symbolique de la construction, qui est première, on est passé avec aisance à la symbolique biblique et à la symbolique du temple, et de celle-ci à l'univers templier. Font aussi irruption l'imaginaire rosicrucien qui, depuis Descartes, enflamme des esprits qui se disent éclairés et l'imaginaire christique, dans sa tradition la plus mystique et parfois la plus hérétique. À partir de la seconde moitié du xixe siècle, la marche du progrès tente d'écraser l'obscurantisme religieux, en vain. Il n'empêche, la maçonnerie, qui est bonne fille, accueille le progrès à bras ouverts, en même temps qu'elle continue à nourrir ses enfants égarés dans les eaux troubles du sentiment religieux. Le mythe du progrès a beau se lézarder de toutes parts, la maçonnerie continue aujourd'hui à en entretenir la flamme.

Puis, à la charnière des xixe et xxe siècles, le maçon et historien des religions belge Eugène Goblet d'Alviella revoit les rituels et les historicise, faisant de la lutte contre l'ignorance le combat de sa vie. Goblet construit une sorte d'encyclopédie des religions, une propédeutique pour des maçons antireligieux ignorant tout des relations des hommes avec leurs dieux. En passant, Oswald Wirth donnera une coloration alchimique au scénario initiatique tandis qu'on tentera par la suite de se débrouiller avec tout ce fatras ésotérico-religieux qui encombre une trop courte mémoire, trop rapidement laïcisée ou sécularisée.

Dire de la maçonnerie qu'elle est une société mythogène, c'est d'abord tenter d'expliquer pourquoi elle n'en finit pas de susciter des mythes. Son caractère secret n'est pas le tout de l'explication. D'un point de vue endogène, elle agglutine à peu près tout ce qui passe, trahissant une porosité qui fait d'elle, de fait et définitivement, une société peu secrète et peu fermée. D'un point de vue exogène, elle n'a pas son pareil pour devenir l'objet des constructions mythologiques les plus débridées qui constituent le catalogue des délires antimaçonniques.

D'un point de vue mythographique, on pourrait sérier trois grandes catégories de mythes. En premier lieu, on regroupera les mythologies parahistoriques : les templiers et les chevaliers, la cité sainte et le Saint Empire, le compagnonnage, la charbonnerie, les Rose-Croix, les papes et les rois, la Kabbale, l'alchimie, le druidisme, l'Égypte. En deuxième lieu viennent les mythologies bibliques et parabibliques : Hiram, Adoniram et les autres, les arches, le serpent d'airain, Jésus, Israël. Enfin on peut réunir en une troisième catégorie les mythologies modernes et philosophiques : le progrès, le trinôme républicain Liberté, Égalité, Fraternité, l'universalité, l'égrégore, la colonne, la connaissance de soi, les voyages, la gnose, la parole, les assassinats, vengeances et coups de poignard, les batailles rangées, la justice et le droit, Dieu, l'Orient, la lumière, la géométrie.

L'irruption du mythe dans la franc-maçonnerie se produit dans le premier xviiie siècle, vraisemblablement quelques années après la création de la nouvelle société, en 1717. C'est Hiram qui ouvre le bal des grandes figures mythologiques. Hiram, ce fondeur biblique devenu[...]

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Écrit par

  • : historien de la franc-maçonnerie, président de l'institut maçonnique de France
  • : docteur en philosophie et lettres, directeur de la chaire Théodore-Verhagen de l'Université libre de Bruxelles

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