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FRANCE (Arts et culture) La langue française

Esthétique

La distance d'une encyclopédie à un dictionnaire n'est point si grande qu'on doive se dispenser de définir d'abord le sens des mots inscrits en tête de certains chapitres comme celui-ci. Qu'est-ce donc à dire que l'« esthétique de la langue française » ? Remy de Gourmont nous offre la bonne fortune d'un précédent en donnant une préface au livre si captivant et si moderne d'allure qu'il composa naguère sous le même titre : « Esthétique de la langue française, cela veut dire : examen des conditions dans lesquelles la langue française doit évoluer pour maintenir sa beauté, c'est-à-dire sa pureté originelle. » Voilà une définition à la fois normative et prospective qui n'est ni tout à fait claire ni tout à fait complète, mais peut déjà nous mettre en chemin. Point n'est question de fixer le visage de la langue française, pas plus que d'aucune autre : elle « doit évoluer » ; mais Remy de Gourmont, après comme avant tant d'autres, ne saurait se résigner à la voir perdre à travers son évolution certains traits fondamentaux qui font son caractère, ce qu'on appela longtemps, surtout au xviie et au xviiie siècle, son « génie », et ce que l'auteur du Chemin de velours n'hésite pas à désigner par des mots empreints de nuance affective : « beauté » et « pureté originelle ».

La « clarté française »

L'objet du présent article est, d'un certain point de vue, contesté aujourd'hui par plus d'un. Et, par exemple, s'il est des termes de caractérisation de la langue qui d'âge en âge reviennent sous la plume de ceux dont l'ambition tend à saisir le naturel de notre idiome, ce sont bien ceux de « pureté » justement ou de « clarté », et aussi de « logique » – celle-ci étant le support et l'une des conditions de celles-là. Or un critique aussi attaché que Roland Barthes à saisir les ressorts profonds de l'« écriture » n'hésite pas à mettre des points agressifs sur des i en forme de lame acérée : « Il y a beau temps que la société française vit la « clarté », non pas comme une simple qualité de la communication verbale, comme un attribut mobile que l'on puisse appliquer à des langages variés, mais comme une parole séparée : il s'agit d'écrire un certain idiome sacré, apparenté à la langue française, comme on a écrit le hiéroglyphique, le sanskrit ou le latin médiéval. L'idiome en question, dénommé « clarté française », est une langue originairement politique née au moment où les classes supérieures ont souhaité – selon un processus idéologique bien connu – renverser la particularité de leur écriture en langage universel, faisant croire que la « logique » du français était une logique absolue : c'est ce qu'on appelait le génie de la langue ; celui du français est de présenter d'abord le sujet, ensuite l'action, enfin le patient, conformément, disait-on, à un modèle « naturel ». Ce mythe a été scientifiquement démonté par la linguistique moderne : le français n'est ni plus ni moins « logique » qu'une autre langue. » Et de renvoyer là-dessus à l'autorité de Charles Bally (1865-1947).

Or le hasard fait ici très bien les choses, puisque ses habitudes d'analyse rigoureuse n'ont pas empêché Bally de proposer aux linguistes, entre autres tâches, celle d'étudier le mécanisme et le sens des faits d'expression au niveau d'une langue donnée – à commencer par la langue maternelle. Après quoi il suggère d'étendre le champ d'enquête de cette discipline (baptisée, fâcheusement sans doute, stylistique) à d'autres langues modernes, avec l'espoir de mieux dégager, par la voie des comparaisons, leurs caractères propres et, par contrecoup,[...]

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François de Malherbe - crédits : Gamma-Rapho/ Getty Images

François de Malherbe

<em>L’Acte inconnu</em>, V. Novarina - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Bridgeman Images

L’Acte inconnu, V. Novarina