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FRANCE (Arts et culture) La littérature

Traits dominants

La liberté

En dépit des censures cléricales et de l'autoritarisme royal, la littérature en France jouit depuis mille ans d'une rare liberté de penser, de s'exprimer. Durant les années de tyrannie, de guerres civiles et religieuses, ou quand il fallait faire, sous le manteau, circuler tous les manuscrits audacieux, le prestige européen de la langue et de la littérature françaises fournissait à nos écrivains les presses de Cologne et de Londres, d'Amsterdam et de Hambourg. De 1939 à 1945, sous la pire des oppressions, le livre français s'imprimait en Italie, aux Pays-Bas occupés, cependant que les États-Unis, l'Argentine, le Canada, le Mexique, l'Égypte, la Suisse offraient aux émigrés le moyen de produire journaux et revues, comme en Europe durant la Révolution française. Alors que le morcellement de l'Allemagne nuisait aux écrivains de langue allemande, que les intrusions étrangères retardaient longuement la naissance d'une littérature russe, interrompaient durablement les progrès de la littérature italienne, qu'après le Siècle d'or l'obscurantisme bigot stérilisait la littérature espagnole, la France eut avec l'Angleterre le privilège – en Europe exceptionnel (et dans le monde presque paradoxal) – d'une liberté constamment conquise, faute de quoi il n'y a littérature que d'alcôve, de salon ou de cour.

Obstinés à dénigrer par faux esprit de liberté tout ce qui est leur, combien d'écrivains français oublient que, dans toute son histoire nationale, la Tchécoslovaquie ne fut libre que vingt-deux ans ; qu'à part deux siècles de liberté sous les Bagratides, la littérature arménienne fut toujours condamnée à l'esclavage, ou à la diaspora ; que la Russie, les États du pape ou la Chine, depuis qu'ils existent comme nations, n'ont pas connu un seul jour de vraie liberté politique, religieuse et littéraire.

La littérature française, elle, n'a cessé de mener un combat constant, obstiné, pour la liberté de penser, pour celle d'aimer. Littérature d'idées subversives, de « mauvaises pensées », d'« idéologues », comme décrétait avec mépris la tyrannie. Littérature qui, dès le Roland, s'efforce de définir un homme idéal qui dépasse le cortegiano (notion de classe) ou le gentleman (notion de classe à la fois et nationale), pour atteindre celui, qui comme le kalos kagathos de la civilisation grecque, ou le junzi de la civilisation chinoise, organise et perfectionne en soi tous les registres de l'humain. Du moins jusqu'au milieu de notre xxe siècle, l'anthropologie toujours seconde et fonde l'humanisme (lequel suppose que la femme, différente de l'homme, est son égale).

Le national et l'universel

Ernst Robert Curtius sut discerner que l'idée de nationalité et celle d'universalité, qui « se repoussent » en Allemagne, « s'attirent » en France ; il en conclut qu'elles « dissocient » l'Allemagne et « consolident » la France. Que les Gesta Dei per Francos, comme aussi le mot de Jeanne d'Arc : « Ceux qui font la guerre au saint royaume de France font la guerre au roi Jésus », confirment son hypothèse, on ne le conteste guère ; ni que la Révolution française, substituant aux gesta Dei l'action de l'homme (la « civilisation »), ait voulu proposer à l'Europe, voire lui imposer, une « religion de l'humanité ». Au xxe siècle encore, « c'est amoindrir, je crois, la poésie française, écrit un homme de passeport uruguayen, que de ne pas lui vouloir les caractères de la poésie universelle. Le génie de notre langue est assez riche pour les contenir tous. » Quand ils descendent aux analyses de leurs urines et de leurs selles, les écrivains français n'y cherchent en vérité qu'une idée plus précise à la fois et plus générale[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV

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Médias

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