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FRANCE (Arts et culture) La littérature

La vraie universalité des lettres françaises

Plutôt que d'étudier les mouvements, les cénacles, les écoles, quand on fonce à l'essentiel, et qu'on aborde les grandes œuvres, les individus, la littérature française redevient une violente, une amusante foire du Trône, où la femme à barbe dialogue avec le nain qui épousa la femme-serpent, laquelle n'est jamais muette.

« Qui cherche à déterminer le caractère propre des lettres françaises comme à leur fixer un centre, songe d'abord au récit. » Brièveté, tension, économie de moyens, le récit convient en effet à l'une des voix du dialogue français : et sans doute est-il plus facile de parfaire deux cents pages que deux mille. Ce qui frapperait aussi et aussi fort, c'est que la littérature française propose et accomplit tous les genres, et que là réside, là vraiment, son universalité. Seule exception : rien chez nous qui corresponde au Kāma-sūtra ; la foi chrétienne s'y opposait : la notion de péché nous interdit l'érotique sacrée. Cette lacune exceptée, tous les genres sont chez nous illustrement illustrés, alors que plusieurs d'entre eux manquent dans certaines des plus grandes littératures. Point d'épopée en Chine, peu dans le monde arabe, ce que pourrait expliquer la théorie de Dumézil ; jusqu'à la fin du xixe siècle et l'influence italo-française qui lui donnera naissance, point de théâtre, ni comique, ni tragique, en pays de Sunna. Si le roman et le théâtre existent en Chine, on les y méprise. Vainement chercherez-vous l'histoire dans la littérature de l'Inde, et l'éloquence profane dans les pays qui n'ont pas joui des libertés parlementaires. Grâce aux libertés exceptionnelles dont bénéficia la France, ou plutôt qu'elle sut se conquérir, si l'on trouve l'éloquence sacrée, l'épopée, la tragédie, genres nobles et souvent au service des valeurs dominantes, l'histoire, les mémoires, les drames, les comédies, les romans, les nouvelles, les contes, qui présentent souvent de la société un tableau fort critique, ne sont pas moins respectés, du moins depuis le xviiie siècle, que les genres nobles. La fantaisie des fatrasies voisine avec la sagesse des fables moralisantes, la satire et le pamphlet avec le roman courtois, l'essai, les mémoires. Du monostique au ressassement, du virelai au pantoum et au vers libre, la littérature française aura tout exploré en poésie. Alors toutefois que la loi de la monorime allait stériliser la quaṣīda arabe et la réduire à des clichés, à des rimes acrobatiques, l'assonance, plus libérale, et bornée à la longueur de la laisse, n'eut pas le même effet désastreux. Lors même que la rime remplaça l'assonance, du fait qu'elle n'était pas monorime et qu'on la tolérait suffisante ou pauvre, elle n'a jamais paralysé, elle a plutôt favorisé les poètes de génie. Au xxe siècle encore, on s'en aperçoit, tous les plus grands savent rimer, si même ils ne riment pas toujours. Langue sans ton, sans accent tonique marqué (comme en anglais ou en allemand), langue dont les usagers ne sentent plus guère la longueur des syllabes, le français n'a jamais pu sans péril élaborer des vers quantitatifs, comme on tâcha de le faire à la Renaissance, ni des versets sans rimes ou assonances.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV

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Médias

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