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FRANCE (Arts et culture) Le cinéma

Le choc du cinéma parlant et la Grande Dépression

En octobre 1927, The Jazz Singer, le premier film parlant de l'histoire du cinéma moderne, sort à New York. Les industriels français sont en retard. Le premier film parlant la langue de Voltaire, Les Trois Masques d'André Hugon, n'arrive qu'en octobre 1929 ; il a été tourné dans un studio londonien. Mais six mois plus tard les spectateurs exigent des films qui parlent et qui chantent. Le passage du muet au parlant a été à tous égards un séisme qui a ébranlé le cinéma français. Séisme financier : il a fallu, dès 1930, reconstruire et équiper à grands frais les salles et les studios. Et séisme artistique : sur les tournages, la dictature d'un nouvel intervenant, l'ingénieur du son, a dans un premier temps justifié les réserves qu'Abel Gance ou René Clair avaient émises en 1927. L'espace de liberté conquis par les maîtres de l'art muet était bien remis en question par l'encombrante présence du micro.

C'est pourtant ce même René Clair qui avait écrit en 1927 « on n'apprendra pas sans frémir que certains industriels américains parmi les plus dangereux voient dans le cinéma parlant le spectacle de l'avenir » qui tournait en 1930 Sous les toits de Paris, film admiré aussi à Berlin et à Londres. René Clair et d'autres après lui domptent le son, l'économisent et l'intègrent à leur mise en scène : Duvivier avec David Golder (1930), Grémillon avec La Petite Lise (1930), Renoir avec On purge bébé (1931).

Le second séisme, moins brutal mais plus destructeur, survient en 1932. La crise économique mondiale frappe, en France, une industrie du cinéma qui vient de s'endetter lourdement. Dès 1933 les faillites se multiplient, et deux tristes feuilletons commencent, qui s'étireront jusqu'à la veille de la guerre : les effondrements parallèles de Pathé et de Gaumont. En 1934, Gaumont dépose son bilan. Ce n'est qu'après quatre ans de tractations qu'un groupe financier en rachète les débris et relance l'entreprise. Pathé, devenu Pathé-Natan en 1929, connaît le même sort dans une confusion que la presse à scandale colore d'antisémitisme. Là encore, c'est un nouveau groupe financier qui rachète, en 1938, l'actif de ce qui avait été l'empire de Charles Pathé. Pendant toute la décennie, le cinéma français est pauvre, porté par des entreprises éphémères, dans un désordre que l'État, parfois sollicité, observe sans intervenir.

Michèle Morgan dans <em>Remorques</em>, de J. Grémillon - crédits : Emmanuel Lowenthal/M.A.I.C/ BBQ_DFY/ Aurimages

Michèle Morgan dans Remorques, de J. Grémillon

Il a pourtant produit, entre 1929 et 1939, un peu plus de 1 300 films, dont 10 p. 100 tournés dans les studios berlinois (surtout des versions françaises de films allemands, avec un réalisateur et des acteurs français expatriés pour l'occasion). Ces films sans ambition, souvent adaptés de pièces de boulevard, ne brillent plus que par leurs interprètes. Le passage au parlant a en effet imposé au cinéma un renouvellement presque total de ses acteurs. On a recruté des voix au théâtre et au café-concert. Entrent alors en cinéma les comédiens qui ont enchanté les écrans du samedi soir pendant trois décennies, et nourri trois générations nostalgiques aux beaux soirs de la télévision nationale. Arletty, Harry Baur, Jules Berry, Danielle Darrieux dès 1931, Fernandel, Jean Gabin, Louis Jouvet, Michèle Morgan après 1935, Gaby Morlay, Raimu, Michel Simon, Charles Vanel... Presque tous ont un jour croisé le chemin d'un Carné ou d'un Renoir, mais ils ont surtout prêté leur talent à des films médiocres qui doivent à leur seule présence leur survie dans des salles de répertoire.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

Classification

Médias

L'Inhumaine, de M. L'Herbier, 1924, affiche - crédits : Collection privée

L'Inhumaine, de M. L'Herbier, 1924, affiche

Michèle Morgan dans <em>Remorques</em>, de J. Grémillon - crédits : Emmanuel Lowenthal/M.A.I.C/ BBQ_DFY/ Aurimages

Michèle Morgan dans Remorques, de J. Grémillon

<em>Entre les murs</em>, Laurent Cantet - crédits :  Haut De Court/ The Kobal Collection/ Aurimages

Entre les murs, Laurent Cantet