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FRANCE (Arts et culture) Le cinéma

La reconstruction du cinéma français

La libération progressive du pays entre juin 1944 et mai 1945 révèle une situation critique. L'activité cinématographique est pratiquement suspendue pendant un an. Coupures d'électricité, usines, salles et studios détruits ou fermés : le cinéma est sinistré. La question de sa reconstruction se pose à l'intérieur d'une alternative simple : le fragile cinéma de la France libérée, menacé d'étouffement par la masse de films américains produits pendant la guerre et attendus par des spectateurs frustrés, sera-t-il pris en charge par l'État, voire nationalisé comme le craint une partie de la profession, ou bien laissé à l'initiative de cette profession dont les branches (producteurs, distributeurs, exploitants) ont des intérêts contradictoires ? Les choix faits par les législateurs de 1946 – choix assumés et continués par pratiquement tous les gouvernements qui se sont succédé pendant les soixante années qui ont suivi – posent les fondations durables de ce qu'on peut appeler le mode de production français.

En mai 1946, Léon Blum signe aux États-Unis un « arrangement » sur le cinéma, qui ouvre une porte contrôlée (un quota de semaines réservées aux films français) aux milliers de films américains retenus aux frontières. L'accord Blum-Byrnes, vilipendé ensuite dans le cadre de la guerre froide, n'en a pas moins joué son rôle de parapluie pendant les deux ans d'extrême fragilité de l'industrie française.

En octobre 1946 paraît la loi qui crée le Centre national de la cinématographie (C.N.C.), un établissement public chargé d'encadrer le cinéma et de contrôler ses finances. En septembre 1948, les députés votent une première loi d'aide à l'industrie cinématographique, qui prévoit un soutien financier aux producteurs de films et aux exploitants de salles. L'argent provient d'un compte alimenté par une taxe sur les tickets d'entrée dans les salles. Le mécanisme est géré par le C.N.C. En 1953, il est prolongé par une seconde loi d'aide. En 1959, après le passage à la Ve République, les « décrets Malraux » ajoutent à l'aide automatique une aide sélective accordée cette fois aux auteurs des films soutenus. Après 1981, le rôle croissant des chaînes de télévision dans la diffusion et la production des films est étendu à l'alimentation du compte. En 1993, la sauvegarde de l'ensemble de ces mesures sera au cœur des négociations internationales qui ont abouti à l'affirmation de l'exception culturelle française.

La décennie qui suit la fin de la guerre, et qui coïncide avec l'éphémère IVe République, se place à première vue sous le signe de la continuité. La renaissance étonnamment rapide d'un cinéma de bon niveau, consacrée par les prix glanés dans les festivals européens en 1946 et 1947, est le fait de cinéastes qui ont gagné leurs premiers galons avant la guerre ou pendant l'Occupation. Leur approche technique, leurs codes narratifs demeurent pour l'essentiel ceux qu'il avait fallu forger dans l'urgence aux premières années du cinéma parlant. Ce cinéma mal aimé, qui n'est qu'exceptionnellement cinéma d'auteur dans une époque où, précisément, il trouve ses marques, est souvent le fait de producteurs. À Paris comme à Rome, les plus habiles d'entre eux savent tirer parti des accords de coproduction franco-italiens, esquissés dès 1946 et confirmés en 1949 qui permettront pendant trente ans d'additionner francs et lires dans des budgets importants. Le cinéma est encore vu par beaucoup comme un artisanat. Ce cinéma est timide, coupé de la réalité, sans doute par une censure tatillonne qui fait alibi pour une autocensure peu glorieuse. Pas de sujets politiques. Les thèmes de la guerre et de la Résistance, si importants dans d'autres cinématographies européennes, s'éloignent[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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Médias

L'Inhumaine, de M. L'Herbier, 1924, affiche - crédits : Collection privée

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Michèle Morgan dans <em>Remorques</em>, de J. Grémillon - crédits : Emmanuel Lowenthal/M.A.I.C/ BBQ_DFY/ Aurimages

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<em>Entre les murs</em>, Laurent Cantet - crédits :  Haut De Court/ The Kobal Collection/ Aurimages

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