Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FRANCE (Arts et culture) Les Français en question

L'État

L 'État est censé jouer un rôle dominant dans la vie des Français : on considère souvent que la France tient un des premiers rangs en matière de centralisation et de bureaucratie. On établit volontiers un contraste politique entre elle et l'Angleterre, qui est présentée comme l'archétype du gouvernement démocratique décentralisé et libéral. Voilà encore un de ces mythes du xviiie siècle, qui ont été si nombreux à survivre en dépit des faits. Les fulminations de Tocqueville se répercutent encore aujourd'hui dans des formules couramment reprises telles que le « mal français » et la « société bloquée ». Cette image de l'administration française ne mérite plus créance. Il fut un temps sans doute où le gouvernement était plus centralisé en France qu'en Grande-Bretagne, mais ce temps n'est plus. L'extension des services sociaux d'État a peu à peu mis insensiblement toutes les instances locales britanniques sous la coupe du gouvernement central ; les ministères dispensent presque les deux tiers des sommes dépensées localement, et s'assurent que ces dépenses obéissent aux directives de l'administration centrale ; les autorités locales sont encombrées d'un système de subventions, les rates, qui restreint encore leur liberté d'action. Au contraire, les fonds publics sont distribués en France selon un système qui ressemble beaucoup plus à celui des États-Unis, par des canaux dont la multiplicité laisse place à des marchandages ; les collectivités locales françaises perçoivent deux fois plus d'impôts propres que ne font les Britanniques, et ont su manipuler les réformes fiscales de façon à accroître leur indépendance. La France possède plus de 400 000 conseillers municipaux, soit environ 2 p. 100 du nombre total des électeurs, et presque vingt fois plus que l'effectif des conseils municipaux britanniques. La participation aux élections locales est deux fois plus élevée qu'en Grande-Bretagne. Du reste, la bureaucratie française n'est nullement homogène. Les fonctionnaires ne se contentent pas d'obéir aux ordres ; ils ont leur orgueil en tant qu'experts et aspirent à la considération de la communauté qui les entoure. Plus celle-ci est petite, plus ils s'attachent à défendre leurs concitoyens contre Paris et à leur montrer comment tourner les règlements. Dans les villes de moins de 10 000 habitants, les gens se déclarent très satisfaits de leurs administrateurs, mais, au-dessus de 20 000 habitants, ils se disent très mécontents. La politique du gouvernement est appliquée à travers une série de compromis entre les fonctionnaires et les représentants de diverses instances locales : maires, conseillers généraux... Aussi prend-elle des formes différentes selon les régions. Le gouvernement ne possède pas de façon aussi absolue qu'on le croit le pouvoir de mettre en application les réformes qu'il décide. Lorsqu'il annonce un nouveau projet, celui-ci est présenté sous la forme d'un tout logique et cohérent, mais ce n'est là qu'une façade soigneusement aménagée de manière à dissimuler toutes les ambiguïtés que les administrateurs, pour tenir compte de leurs hésitations et de leurs divergences, y ont laissé subsister. Des ministères rivaux s'entendent pour masquer leurs désaccords sous des compromis tacites dont le public n'est presque jamais informé. Les individus qui composent l'administration continuent à jouer un rôle déterminant dans la façon dont la législation est appliquée.

Parfois les Français se considèrent comme opprimés par la bureaucratie, ou encore ils estiment vivre dans un régime de type socialiste où le secteur public domine. Cependant, la France socialiste compte moins de fonctionnaires (21 p. 100) que la Grande-Bretagne conservatrice (30 p. 100),[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification