FRANCE (Histoire et institutions) Formation territoriale
À l'encontre de ce qui fut jadis soutenu par nombre d'historiens, il semble établi aujourd'hui que la monarchie d' Ancien Régime ne connut presque jamais de politique des frontières naturelles. Aux xvie et xviie siècles, les préoccupations et les méthodes des gouvernants en matière diplomatique et pour tout ce qui touche à l'expansion territoriale conservent bien des traits archaïques. Le droit des successions féodales reste pendant longtemps la règle de l'agrandissement du royaume. Plutôt que de constituer un ensemble de terres homogène et sans enclaves, on choisit de tenir des passages ou des forteresses, parfois fort éloignés de la masse territoriale, afin de préparer de futures offensives et d'aider les partisans qu'on ne manque jamais d'entretenir chez l'adversaire.
Il convient tout d'abord de préciser les notions de domaine, de royaume, d'État et de nation.
Le domaine, c'est la propriété patrimoniale du roi. Il se compose de propriétés foncières (terres, forêts, châteaux, cours d'eau) et d'un ensemble fort complexe de droits féodaux (rentes, péages, banalités, droits de nomination, etc.). Le royaume est formé de toutes les seigneuries qui sont dans la mouvance du roi, c'est-à-dire dont les possesseurs sont liés au souverain par la chaîne des hommages vassaliques. Au xviiie siècle, on tend à opposer royaume et empire. Un royaume présente dans l'esprit des contemporains une certaine unité du peuple, de la nation et des lois fondamentales qu'on ne rencontre pas dans un empire, beaucoup plus disparate.
Le domaine, initialement borné pour les premiers Capétiens aux environs de Paris et à quelques villes des vallées de l'Oise et de l'Aisne, s'est accru du comté de Toulouse sous Philippe le Hardi, de la Champagne sous Philippe le Bel, du Dauphiné sous Philippe VI, de la Guyenne après la guerre de Cent Ans, de la Bourgogne et de la Provence sous le règne de Louis XI. À plusieurs reprises, aux xive et xve siècles, il s'est trouvé dangereusement amputé par des créations d'apanages en faveur des fils de la maison royale. Une nouvelle féodalité s'est reconstituée avec la création des maisons de Bourgogne, d'Orléans, de Bourbon, d'Armagnac, d'Albret. Malgré cela, ou à cause de cela, s'est dégagée la notion de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité du domaine royal.
L'idée de nation est attachée à la possession en commun des mêmes mœurs et d'une même langue. Si l'État et la nation coïncident au début du xvie siècle, il n'en a pas été toujours ainsi. Il existe, avant le xiiie siècle, un rex Francorum, non un rex Franciae, des nations picarde, bretonne, bourguignonne, non une nation française. C'est la guerre de Cent Ans qui a fait apparaître la « nation française ». Le mot « étranger », qui, au départ, désignait tous ceux qui n'habitaient pas la seigneurie, le village ou le « pays », en est venu à désigner celui qui n'appartient pas au royaume. La communauté à laquelle on avait conscience de participer s'est dilatée du pagus ou du comté aux dimensions du royaume.
Au xviie siècle, la patrie est à la fois l'État où l'on est né et la petite patrie, la province ou la ville que l'on habite. Ce sentiment de commune patrie recouvre chez beaucoup l'appartenance au royaume et l'obéissance à un même souverain, qui est un « prince naturel », ne dépendant de personne sur terre, sinon de Dieu, dont la famille est assurée du trône depuis des temps immémoriaux. Ce n'est qu'à la fin du xviiie siècle que les termes de patrie et de patriote seront comme détachés de la réalité monarchique.
Autre notion à avoir évolué elle aussi : la frontière. Au Moyen Âge, elle est souvent plus une zone qu'une[...]
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Écrit par
- Yves DURAND : chargé d'enseignement à la faculté des lettres et sciences humaines de Nantes
Classification
Médias