FRANCE - L'année politique 1996
Une opinion désenchantée
Le désenchantement et l'amertume de l'opinion publique constituent la toile de fond, le contexte qui éclaire et souvent aggrave les données précédentes. Ils ont des origines diverses, mais leur portée demande à être justement appréciée.
Ils se traduisent d'abord par une méfiance générale à l'égard des pouvoirs établis, des groupes, des institutions. Le succès durable des « Guignols de l'information » est à cet égard aussi significatif que ravageur. Les sondages d'opinion de plus en plus douloureux pour le président et le Premier ministre ne profitent au fond à personne. La première origine tient sans doute aux « affaires », à l'image d'une corruption généralisée, de partis se prétendant au-dessus des lois, d'un pouvoir qui tente maladroitement de cacher la vérité. Ce dernier se trouve davantage sur la sellette, notamment à Paris et dans la région Île-de-France, ce qui met en cause le financement du R.P.R., sans préjudice d'enrichissements individuels. Seule la justice sort peut-être épargnée, du fait du courage de nombre de juges d'instruction, mais à condition de ne pas apparaître elle-même comme une force politique.
Les affaires nourrissent les campagnes du Front national, mais les pratiques qu'elles révèlent constituent en toute hypothèse une atteinte à la République et une insulte à la démocratie. L'amnistie déguisée que serait une réforme de la prescription de l'abus de biens sociaux ne les effacerait sans doute pas. La double réplique du pouvoir paraît bien mal adaptée : d'un côté, multiplier les déclarations sur l'indépendance de l'autorité judiciaire, envisager même de soustraire le parquet à l'autorité de la chancellerie ; de l'autre, organiser l'opacité, maintenir en fonctions des élus mis en examen et surtout tenter d'accroître la maîtrise sur les médias. Radio et télévision publiques sont reprises en main et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (C.S.A.), soit par faiblesse institutionnelle, soit en raison de complaisances individuelles, n'y fait guère opposition.
Il est cependant un domaine où l'opinion, toutes tendances confondues, est solidaire du gouvernement, celui de la lutte contre le terrorisme, toujours latent et parfois actif. Les Français manifestent face aux attentats résistance et dignité. Cela est surtout vrai face au terrorisme islamique, mais aussi à l'égard de la situation en Corse. Les politiques gouvernementales ont souvent paru hésitantes et contradictoires, tentant d'affaiblir les mouvements « nationalistes » en les divisant par la négociation, tout en réaffirmant parallèlement l'autorité souvent bafouée de la République. L'opinion rejette ces traitements de faveur, dénonce l'abus des subventions, et Raymond Barre crée un choc lorsqu'il évoque l'indépendance de l'île. Quand les liens entre le crime organisé et les prétendus « nationalistes » sont avérés, l'annonce d'une politique répressive contre les attentats est largement approuvée.
Une telle attitude indique plus profondément les aspirations de l'opinion. Celle-ci est fragmentée, les intérêts qui la sous-tendent sont divers et souvent contradictoires : exclus, jeunes en quête d'emploi, classes moyennes menacées par la précarité, par la fragilité des régimes de retraite, commerçants, entrepreneurs aspirant à des allègements des prélèvements obligatoires, etc. La réalité des choses est une inquiétude profonde face à l'avenir, face à un sous-emploi persistant, face à une stagnation des revenus, face à l'absence de perspectives claires. Cela conduit non à la révolte, au-delà d'une solidarité passive avec les grévistes, mais au rejet de la politique, au repli individuel ou familial.
En réalité,[...]
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Écrit par
- Serge SUR : professeur de droit public à l'université de Paris-II-Panthéon-Assas
Classification
Média