FRANCE L'année politique 2018
Les « gilets jaunes » : un révélateur des fractures françaises
Né spontanément sur les réseaux sociaux d’une protestation contre la hausse des taxes sur le diesel, le mouvement des « gilets jaunes » doit son nom au gilet de sécurité qui doit équiper tous les véhicules automobiles français. Sentiment d’injustice fiscale devant une mesure qui taxe les « petits », quand le gouvernement se voit reprocher la suppression de l’ISF et la diminution de l’imposition des revenus du capital, rejet par la province et le monde rural de décisions prises depuis Paris, révolte de la « France périphérique » contre la « start-up nation », exaspération devant certaines déclarations publiques du président de la République, que l’on accuse de mépriser les humbles, tout ce qu’exprime la révolte des « gilets jaunes » met au jour les tensions sourdes qui fragmentent la société française et dont chacun est soudain obligé de prendre conscience. La révolte est celle des classes moyennes dites inférieures, des petits salaires, des retraites modestes, des indépendants ou des petits entrepreneurs qui ont le sentiment de peiner à « joindre les deux bouts ». À l’origine, le point commun de ceux qui vont devenir la « France des ronds-points » est de dépendre presque exclusivement de la voiture pour leurs déplacements privés et professionnels. Cette France de la ruralité et des petites agglomérations désertées par les services publics de proximité se fait rapidement le porte-voix de revendications sur le pouvoir d’achat et exprime un désarroi devant le fonctionnement de la démocratie représentative, dont ils estiment qu’elle est incapable de prendre en compte leurs préoccupations quotidiennes.
L’appel à exprimer sa colère, en bloquant les ronds-points et les péages, et en manifestant sans autorisation sur les Champs-Élysées le 17 novembre, rencontre un succès qui surprend l’ensemble du pays et des observateurs internationaux, d’autant que le mouvement ne bénéficie d’aucun appui logistique de la part de quelque organisation que ce soit. Le ministère de l’Intérieur, qui manque de références et sans doute de moyens techniques en la matière, dénombre 282 710 participants sur le territoire. Par la suite, les « gilets jaunes » maintiennent une présence permanente sur les ronds-points et, tous les samedis de novembre et de décembre, réitèrent l’opération, étendant peu à peu le champ de leurs revendications : pouvoir d’achat, rétablissement de l’impôt sur la fortune, référendum d’initiative citoyenne (RIC)… Ils expriment avant tout leur hostilité à la personne du président de la République. Numériquement, la mobilisation faiblit, mais le mouvement bénéficie d’un soutien relativement stable dans l’opinion malgré un effritement en fin d’année. Avec un temps de décalage, l’exécutif répond aux revendications initiales en supprimant d’abord l’augmentation des taxes sur le diesel, puis par plusieurs mesures portant sur le pouvoir d’achat : prime de 100 euros par mois aux foyers rémunérés au SMIC, annulation de l’augmentation de la CSG sur les retraites inférieures à 2 000 euros par mois, défiscalisation et « désocialisation » des heures supplémentaires et, enfin, possibilité offerte aux entreprises de verser une « prime de Noël » non imposable et exonérée de cotisations sociales. Dans son allocution télévisée du 10 décembre, le président de la République affirme comprendre les « colères justifiées », mais annonce son intention d’appliquer une politique de fermeté contre les atteintes aux personnes et aux biens.
En effet, les manifestations et les blocages de routes sont l’occasion d’affrontements avec les forces de l’ordre, de dégradations de commerces, de plus de la moitié des radars routiers, de péages autoroutiers, de mobilier urbain... Des permanences d’élus[...]
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Écrit par
- Nicolas TENZER : président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique, enseignant à Sciences Po, Paris
Classification
Médias