DE SANCTIS FRANCESCO (1817-1883)
L'art comme forme
Bien qu'il se soit toujours défendu d'avoir voulu établir les principes d'une esthétique nouvelle, De Sanctis n'en est pas moins parvenu à formuler une théorie originale, dont le premier axiome est l'indépendance de l'art. Il a en effet retenu de Hegel l'idée de l'identité de la forme et du contenu, de leur unité organique, qui fait de l'œuvre d'art une synthèse vivante, autonome, engendrée en toute liberté par cette faculté créatrice qu'il appelle la fantasia. L'œuvre d'art est forme, non pas « la forme, vêtement, voile, miroir ou que sais-je encore, précise-t-il, manifestation d'une généralité distincte d'elle-même, quoique unie à elle ; mais la forme dans laquelle est déjà passée l'idée et à laquelle l'individu s'est déjà élevé [...]. Ce qui, en poésie, vit d'une vie immortelle est la forme, quelle que soit l'idée et, partant, le contenu. » Cela ne signifie pas que De Sanctis fasse sienne la théorie de l'art pour l'art qu'il a effectivement connue et rejetée, car il ne saurait exister pour lui de véritable poésie sans une grande richesse intérieure. Il ne suffit pas au poète d'être artiste, « il doit être homme » ; il n'est pas de grand écrivain sans conscience morale.
Tout en affirmant le principe de l'autonomie de l'art, De Sanctis reconnaît cependant que la synthèse du contenu et de la forme se trouve rarement réalisée dans l'œuvre d'art. Le rôle du critique consiste alors à « refaire ce qu'a fait le poète, à le refaire à sa façon et avec d'autres moyens », à retrouver le chemin qui l'a conduit de la matière à la forme achevée en mettant en valeur l'écart qu'il peut y avoir entre le « monde intentionnel » du poète et sa « poésie effective ». On retrouve ici le dualisme du contenu et de la forme, du contenu qui aspire à se perdre dans la forme, car l'écrivain ne crée pas ex nihilo, mais à partir d'une matière préexistante. C'est cette matière qui, « dans une position concrète et déterminée, acquiert un caractère », devient « situation », c'est-à-dire le contenu poétique « déterminé par les forces du poète et par les conditions extérieures dans lesquelles il vit ». De Sanctis réintroduit ainsi un déterminisme, limitant cette liberté de l'esprit qui faisait, selon lui, la dignité du poète créant en toute autonomie. À aucun moment il n'a pensé que l'écrivain devait être indifférent au contenu : un des critères fondamentaux de sa méthode est la distinction qu'il établit entre l'artiste, préoccupé seulement de faire une œuvre belle, et le poète, qui incarne l'« idéal » dans le « réel » ou, comme il dit encore, qui fait coïncider la pensée et la vie. C'est pourquoi, sans contradiction profonde, il a pu faire de sa Storia l'histoire de la conscience morale de l'Italie, de sa civilisation, en reprenant à son compte la thèse, déjà développée par F. Schlegel, Mme de Staël et Sismondi, de la littérature comme expression de la société. « L'art, écrit-il, n'est pas un caprice individuel [...]. L'art, comme la religion et la philosophie, comme les institutions politiques et administratives, est un fait social, un résultat de la culture et de la vie nationales. » C'est là l'idée directrice de son histoire où domine, avec le souci de la morale, le problème de la décadence qui lui fait adopter une division tripartite : le Moyen Âge, dont le livre fondamental est La Divine Comédie, synthèse de la pensée et de l'action, la Renaissance, dont le sommet est le Roland furieux de l'Arioste, prince des artistes, opposé à Dante et à l'époque moderne où la littérature commence à renaître avec Parini,[...]
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Écrit par
- Norbert JONARD : professeur de langue et littérature italiennes à l'université de Dijon
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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