NITTI FRANCESCO SAVERIO (1868-1953)
La carrière de Nitti se partage en deux périodes, coupées par la longue parenthèse du fascisme. Elle illustre, dans les idées et l'action de l'homme politique, les limites de la génération du post-Risorgimento libéral, qui se révélera impuissante à arrêter l'ascension de la dictature en Italie. Nitti a mené de front une activité de journaliste, de professeur et de député. Caractère aimable, dépourvu de fermeté, il mêle à une ironie mordante contre ses adversaires le goût des formules rapides et de la rhétorique. Nitti, de tradition libérale modérée et laïque, est le produit typique de la petite bourgeoisie méridionale, qui se défie à la fois des conservateurs et des socialistes. Mais il ne réussit pas à imposer son radicalisme comme force politique et il est contraint de s'associer à Giolitti, qui en fait son ministre de l'Agriculture (mars 1911-mars 1914). Il se signale en faisant voter la loi sur la nationalisation des assurances sur la vie. Opposé aux nationalistes, à la guerre de Libye et à l'intervention dans le premier conflit mondial, il devient président du Conseil, dans un gouvernement de centre-gauche qui durera du 23 juin 1919 au 9 juin 1920. Confronté aux difficultés d'une nation en pleine crise, Nitti tente de résoudre des problèmes qui le dépassent. Ses efforts de redressement ne réussissent que médiocrement. Il met en œuvre une législation sociale qui mécontente les possédants, obère les finances par un bas « prix politique » du pain et doit atténuer ou supprimer ses mesures les plus spectaculaires, comme l'imposition des bénéfices de guerre. Il indispose la droite comme la gauche, dans un climat social qui s'alourdit et que marquent des grèves sanglantes. La même hésitation caractérise sa politique extérieure. Elle est orientée vers la détente et la recherche d'un accord avec le nouvel État yougoslave. Nitti refuse d'entériner le coup de force de Gabriele D'Annunzio contre Fiume (sept. 1919), mais il n'emploie pas non plus la force pour expulser le leader nationaliste. Il laisse pourrir la situation et louvoie. Sans obtenir de résultats éclatants, il amorce une atténuation des tensions avec la Grèce et l'Autriche. C'est ainsi qu'il replace le Haut-Adige annexé sous administration civile. Dans la question allemande, Nitti se range aux côtés de l'Angleterre, favorable au redressement de la République de Weimar. Les relations entre Rome et Paris entrent en crise lors de la prise de gages par le gouvernement français en Rhénanie (avr. 1920). L'action diplomatique de Nitti, qui, en ce qui concerne les problèmes adriatiques, a été réévaluée dans un sens positif par l'historiographie contemporaine, déchaîna contre lui une extraordinaire animosité de la part des nationalistes, qui le flétrirent des épithètes de « bolchevique » et de « renonciataire ». En septembre 1919, Nitti fit dissoudre la Chambre et imposa une loi au scrutin proportionnel. Les élections du 16 novembre marquèrent la fin de l'Italie des notables et le déclin des partis « historiques » au profit des formations massives du socialisme et de la démocratie chrétienne. Mais, au lieu de s'unir contre Mussolini, marxistes et catholiques populaires s'opposèrent en controverses stériles, qui firent le lit de la dictature. En butte à l'hostilité de principe des nationalistes et des socialistes, le radicalisme de Nitti ne suscitait que très peu d'adhésion chez les catholiques. Privé d'une assise parlementaire solide, le gouvernement tomba. De juin 1920 à octobre 1922, Nitti partagea les illusions de Giolitti sur la nature réelle du fascisme. Son attitude envers Mussolini et D'Annunzio manqua de clairvoyance et de fermeté.
Après l'instauration de la dictature, Nitti fut contraint à l'exil, en Suisse (1924), puis à Paris[...]
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Écrit par
- Paul GUICHONNET : professeur honoraire à l'université de Genève
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