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BRADLEY FRANCIS HERBERT (1846-1924)

Bradley, si parfois il semble loin de nous, est très proche cependant. Il transmue l'idée hégélienne en une non-idée ; il donne au sentiment une place analogue à celle que lui fit Gabriel Marcel sur lequel il a eu une influence certaine ; il trouve, sous la forme de ce sentiment informe, quelque chose d'analogue à ce qu'y ont vu Husserl et Merleau-Ponty. Les penseurs d'Oxford et de Cambridge, si opposés à lui en apparence, le redécouvrent parfois avec étonnement, tant ses analyses sont souvent précises et exactes autant que profondes.

L'Absolu, impossible et nécessaire

Après un livre peu connu sur les Présuppositions de l'histoire critique (The Presuppositions of Critical History, 1874) et après les Études éthiques (Ethical Studies, 1875), plus connues, le philosophe anglais Bradley – né à Glasbury, mort à Oxford – publie les Principes de logique (The Principles of Logic, 1883), et surtout Apparence et Réalité (Appearance and Reality. A Metaphysical Essay, 1893).

Essai métaphysique, dit le sous-titre de ce dernier ouvrage, et, en effet, prenant la suite de Thomas Hill Green, Bradley continue la lutte contre l'empirisme et le naturalisme. Mais il approfondit et assure ses fondements. Sans doute, de l'Absolu nous ne pouvons rien dire, rien, si nous appelons rien ce « beaucoup » qui est l'ensemble des apparences, une fois qu'elles ont été assemblées et sublimées. C'est que ces apparences, ce sont surtout les relations, désarticulées, puis articulées, tant bien que mal et plutôt mal que bien, par le jugement.

En quoi consiste l'activité du jugement ? En une séparation du sujet et de l'attribut, et cette séparation a pour résultat que nous voyons d'un côté la chose et d'un autre côté les qualités de la chose sans que nous puissions voir de quelle façon elles sont unies. Au long des chapitres qui constituent la première partie de ce grand livre, nous assistons à une critique dirimante de toutes les disjonctions. Parfois, nous nous sentons proches de Berkeley, parfois de Vaihinger et par conséquent de Kant dont ce dernier a fait un commentaire partiel et prodigieux. Les qualités secondes n'ont pas de réalité et pas plus les qualités premières. Et quelle est la relation entre les qualités premières et les qualités secondes ? Elle est inintelligible. Rien d'étonnant à cela puisque les qualités sans les relations sont inintelligibles aussi bien qu'elles le sont avec les relations, et que les relations sans les qualités sont inintelligibles, aussi bien que les relations avec les qualités.

Muni de ce sécateur, se situant parfois tout près de l'empirisme d'un Hume, et parfois tout près d'un idéalisme absolu, Bradley s'attaque à l'espace et au temps. Du moment qu'ils sont des relations et n'en sont pas, il les déclare inintelligibles et même vicieux ; en particulier, le « maintenant » est inintelligible.

Un nouvel Éléate

Parfois, nous sommes tout près de Bergson, et James en a bien eu le sentiment. N'a-t-il pas intitulé une étude importante « Bradley ou Bergson » ? Il s'agit de savoir, dans cette remarquable étude, si le philosophe doit s'échapper vers un Absolu impossible, et c'est Bradley, ou revenir vers le sentiment primitif, et c'est Bergson.

On voit qu'un disciple de Bradley ne doit ni ne peut tenir compte de la différence essentielle que Bergson fait entre le temps profond, appelé durée, et l'espace. L'important pour lui est de dégager l'idée que « les termes sont essentiels à la relation et que les termes n'existent pas. Dans notre recherche sans fin nous ne trouvons jamais que des relations [...]. L'espace est essentiellement une relation qui s'évanouit en relations qui cherchent en vain leurs termes [...]. Il est longueurs de longueurs de rien que nous puissions trouver. »[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

Classification

Autres références

  • ROYCE JOSIAH (1855-1916)

    • Écrit par
    • 590 mots

    S'inscrivant, avec Francis Herbert Bradley et Bernard Bosanquet dans la ligne de l'« idéalisme » hégélien — étiquette que les intéressés récusent néanmoins —, Josiah Royce reprend, pour l'essentiel de son apport philosophique, le problème que posait le premier de ces trois penseurs anglo-saxons...