BRADLEY FRANCIS HERBERT (1846-1924)
Tout est au-delà de nous
Le doute et l'étonnement
Il est caractéristique que le dernier chapitre de ce livre ait pour titre « Doutes ultimes ». Le philosophe cherche le vrai ; mais le vrai n'est pas encore le réel, car le vrai reste enfermé dans le cadre du jugement. Et, cependant, Bradley pense avoir acquis ce qu'il appelle alors une certitude absolue. Mais, après avoir écrit ces mots, il complète sa pensée : « Cette conclusion, je l'ai déjà fait remarquer, ne va pas très loin. Elle nous laisse libres d'admettre que ce que nous connaissons n'est rien en proportion du monde de notre ignorance... Nous ne savons pas, sauf en une esquisse vague, ce qu'est l'unité, ou encore nous ne savons pas du tout pourquoi elle apparaît dans nos formes particulières de pluralité. Nous pouvons même comprendre qu'une telle connaissance est impossible. » Ayant écrit ces lignes, il pense qu'il a laissé assez d'espace pour que, suivant son expression, s'exercent le doute et l'étonnement. C'est que, au regard de la richesse de l'univers réel, notre science est une pauvre chose ; et le voici qui, semblable à quelques-uns de ses adversaires irrationalistes, nous montre « les sentiers qui nous conduisent dans des régions à moitié inconnues et à moitié inconnaissables ». Notre conclusion a, en somme, expliqué et confirmé que tout est au-delà de nous (all is beyond us).
Un savoir relatif
Malgré tout, grâce à la théorie des degrés de réalité, tout savoir ne nous est pas interdit : « Plus haut, plus vrai, plus beau, meilleur et plus réel, ces choses, en somme, comptent dans l'univers comme elles comptent pour nous. » Continuant sur cette lancée, il écrit : « L'existence doit correspondre avec nos idées », oubliant, semble-t-il, pour un instant, toutes les difficultés que soulève cette correspondance.
Les mêmes idées qui ont été exposées dans Appearance and Reality se retrouvent dans le second grand livre de Bradley, qui est un recueil d'essais sur la vérité et la réalité. Nous assistons à une sorte de va-et-vient entre un absolu relativisme et un absolutisme non moins absolu. Le plaisir, par exemple, nous donne un certain sens de la réalité absolue ; mais le pur plaisir est une abstraction : il y a un sujet de plaisir et un objet de plaisir ; que nous allions du côté du sujet ou du côté de l'objet, nous serons amenés à l'idée d'un bien qui dépasse ce que le partisan du plaisir admet comme seul but à notre activité. Il en ira de même de toute idée particulière, de l'idée de beauté, de l'idée d'intelligence, de l'idée de société. C'est qu'il y a un acte de foi philosophique qui nous fait dépasser les connaissances finies.
Le seul monde désirable
Parmi toutes les idées que passe ici en revue Bradley, nous pouvons insister sur les pages où il parle du jeu et du sérieux. D'Héraclite à quelques disciples de Husserl et de Heidegger en passant par Nietzsche, l'idée de jeu a conservé une grande importance. Selon Bradley, le jeu implique un sens du sérieux ; le monde du jeu se révèle comme le seul monde que l'homme puisse sérieusement désirer ; et le monde du sérieux, si nous l'examinons, se révèle comme ce qui n'a pas d'importance ni de valeur. Il faut donc aller au-delà de ces deux activités pour trouver l'Absolu ; et les valeurs sont partout et toujours mesurées par des degrés, puisque la seule réalité est l'Absolu qui, au-delà de toutes les valeurs, est la réalité qui est au-delà de toutes les vérités.
Les valeurs liées à l'expérience
On trouve dans les Essays on Truth and Reality toute une polémique, dirigée, d'une part, contre James, d'autre part, contre Russell ; ni le pragmatisme ni l' empirisme radical ne peuvent contenter Bradley. Il montre[...]
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Écrit par
- Jean WAHL : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
Classification
Autres références
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ROYCE JOSIAH (1855-1916)
- Écrit par Charles BALADIER
- 590 mots
S'inscrivant, avec Francis Herbert Bradley et Bernard Bosanquet dans la ligne de l'« idéalisme » hégélien — étiquette que les intéressés récusent néanmoins —, Josiah Royce reprend, pour l'essentiel de son apport philosophique, le problème que posait le premier de ces trois penseurs anglo-saxons...