FITZGERALD FRANCIS SCOTT (1896-1940)
Scott Fitzgerald occupe une situation particulière dans le roman américain de l'entre-deux-guerres. Figure de proue de la « génération perdue » dont il fut un peu l'inventeur, le metteur en scène, le jeune premier et le chroniqueur, il s'est identifié à son époque pour le meilleur et pour le pire. Il fait une entrée fulgurante dans la vie littéraire au moment où la prospérité prend son essor, et c'est dans l'euphorie qu'il célèbre les fastes et les folies de l'âge du jazz. Avec, toutefois, au cœur de la fête, l'appréhension de l'échec et le pressentiment poignant de la chute. En 1929, la synchronie entre le destin national et le destin personnel se manifeste cruellement quand, à l'écroulement psychique de sa femme, fait écho le krach financier de Wall Street. Pendant les longues années de la dépression, l'oubli succède à la popularité, la maladie à une énergie en apparence inépuisable et la difficulté d'écrire à l'aisance souveraine des jeunes années. Fitzgerald sombre dans l'alcoolisme et ce n'est qu'au prix d'efforts héroïques qu'il parvient à composer ses derniers livres.
Le renouvellement des mythes romanesques
Mais son originalité tient moins à ce rôle de porte-drapeau ou de bouc émissaire qu'à la spécificité de son domaine romanesque et à l'acuité du regard critique qu'il jette sur le mythe américain du succès. L'Amérique qu'il met en scène s'inscrit en effet en contraste total avec la tradition. Depuis Fenimore Cooper et avec Melville, Twain, London, le romancier américain rejette les ressorts de la vie en société et de l'intrigue sentimentale : la femme et l'amour n'ont pas droit de cité dans son œuvre. Son sujet d'élection, c'est l'errant solitaire aux prises avec une nature sauvage souvent symbolisée par un monstre fabuleux. Tels L'Ours de Faulkner et Le Vieil Homme et la mer de Hemingway.
Fitzgerald, quant à lui, comme James autrefois, tourne le dos à la nature et au primitivisme. Sa scène de prédilection, haut lieu de l'artifice, ce sont les salons illuminés du Ritz ou du Plaza. La joute amoureuse y prend le relais du combat avec la bête, et le roman courtois se substitue au récit épique (il y a du Tristan et Iseult dans Gatsby). Le récit fitzgéraldien type met en scène un jeune homme pauvre aux hautes ambitions, conscient des possibilités illimitées que semble lui offrir l'Amérique. Face aux réalités, il perd de vue ses objectifs, et sa quête de l'absolu se mue en une conquête du superlatif qui s'incarne en définitive dans les traits de la jeune fille la plus audacieuse, la plus séduisante et aussi la plus riche. Cette femme-orchidée, cette femme-idole, image en abyme de l'Amérique, est l'illusion ultime à laquelle il succombe. Froide et calculatrice comme la classe dont elle est issue, elle se révélera destructrice comme la richesse dont elle est le produit et la quintessence.
Pour rendre compte de la coexistence dans l'œuvre de l'expérience poétique et du jugement moral, du goût pour l'introspection et la satire, de la veine comique voisinant avec un lyrisme grave et contenu, le critique Edmund Wilson, qui fut l'ami et le mentor de Fitzgerald, proposait, en bon disciple de Taine, d'y lire la convergence de trois facteurs : l'ascendance catholique, la race irlandaise et le milieu provincial cossu du Middle West. Quelques données biographiques permettront d'affiner ce jugement.
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Écrit par
- André LE VOT : professeur honoraire à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Médias
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