FITZGERALD FRANCIS SCOTT (1896-1940)
Génie et perdition
Ce premier roman est une œuvre hybride qui fait se côtoyer prose et vers, saynètes et récits, fragments de lettres et de journaux intimes, le tout fortement inspiré par des modèles anglais, Compton Mackenzie pour l'évocation romantique du campus, Wilde pour le trait d'esprit, Shaw et Wells pour la revendication d'inspiration socialiste. C'est véritablement, sous les traits d'Amory Blaine, le portrait de l'artiste en jeune homme, l'histoire d'une sensibilité en gestation dans laquelle les livres tout autant que les femmes jouent un rôle de premier plan. Les audaces, tant idéologiques qu'amoureuses, paraissent aujourd'hui bien timides, mais la jeunesse américaine s'y reconnut et lui fit un succès éclatant. Fitzgerald était désormais le porte-parole de sa génération, le chantre d'une Amérique en mutation. En quelques semaines, le jeune couple devint la coqueluche de New York et connut le genre de notoriété généralement réservé aux vedettes de variétés. Crédules, vulnérables, sans expériences, ils jouèrent le rôle qu'on attendait d'eux et se lancèrent à corps perdu dans la fête des années folles.
Le deuxième roman, Les Heureux et les Damnés, fait le point deux ans plus tard. Toujours d'allure autobiographique, il conte l'échec d'un couple ruiné par la faiblesse de l'homme et la frivolité de la femme. C'est une œuvre assez sombre et mélodramatique malgré de brillants moments de comédie de mœurs et de satire sociale, fortement inspirée par l'esthétique naturaliste de Norris et Dreiser. Les nouvelles de cette époque exploitent la même veine réaliste et sociologique. Toute la légèreté douce-amère, toute la spontanéité farfelue des premiers textes ont disparu. Accablé de dettes malgré des revenus toujours croissants, Fitzgerald s'essaie au théâtre dans l'espoir qu'une pièce à succès le tirera d'affaire. Le Légume, encore une histoire de mari falot et de femme aux ambitions puériles, allie le ton de la comédie satirique à une invention débridée. Bien que saluée par Wilson comme l'une des meilleures comédies américaines, la pièce connut un échec retentissant.
C'est alors que Fitzgerald décide de changer de vie, de fuir une Amérique trop prospère et trop tapageuse où s'engluent son talent et sa volonté. Il décide de se joindre à la cohorte de ses compatriotes qui ont trouvé en France un climat plus propice à la création artistique... et un taux de change hautement favorable. Il arrive à Paris en mai 1924 avec Zelda et leur fillette de trois ans. Quelques semaines plus tard, il s'installe sur les hauteurs de Saint-Raphaël où, en moins de cinq mois, il écrit la première version de Gatsby le Magnifique, remaniée pendant l'hiver en Italie. Dans ce livre, il trouve enfin la solution artistique qu'il cherchait confusément depuis L'Envers du paradis et réussit à composer l'une des œuvres les plus denses, les plus dépouillées et les plus riches en perspectives de la littérature américaine. Le métier se transforme alors en vocation et il atteint une maturité artistique qui lui permet d'exploiter harmonieusement toutes ses virtualités. Grâce à l'exemple de Conrad il trouve une réponse au problème difficile du traitement de l'illusion romanesque : Nick, un narrateur distinct du héros et qui passe à son égard du mépris à une adhésion quasi totale, peut commenter avec détachement le comportement de celui-ci. L'ironie peut ainsi coexister avec le lyrisme sur le mode antithétique et la satire se déployer sans sacrifier la ferveur amoureuse. Toutes les possibilités de l'écriture sont ainsi mobilisées d'une façon organique sans que le texte souffre des morceaux de bravoure qui encombrent les premiers romans. Tout le mysticisme qui sous-tend le rêve impossible de Gatsby est ainsi suggéré avec une[...]
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Écrit par
- André LE VOT : professeur honoraire à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Médias
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