GOYA FRANCISCO (1746-1828)
Goya tient cette gageure de jouir d'une égale popularité à l'étranger et dans sa propre patrie. Qui plus est, cette faveur générale, acquise dès son vivant, ne s'est jamais démentie. Il s'agit d'un phénomène unique dans l'histoire de l'Espagne, qui tient à la situation du peintre, d'une part vis-à-vis de son peuple, mais aussi, d'autre part, par rapport à l'évolution générale du temps.
L'Espagne a trouvé en Goya un observateur d'une cruelle lucidité, à un moment décisif de son destin historique, alors que s'opérait le renouvellement politique et social du pays à travers le drame d'une guerre de libération nationale. Le Goya du Tres de Mayo (Prado, Madrid) et des Désastres de la guerre se révèle comme le plus espagnol des peintres de l'Espagne.
Cependant, sur un plan plus large, Goya est installé à la charnière de deux mondes : le xviiie siècle éclairé et le monde moderne dont il découvre autour de lui et en lui-même la tumultueuse gestation. Le Goya « visionnaire », sans annihiler complètement l'homme « éclairé », déplace vers un univers de ténèbres les frontières de l'humain.
Pour transmettre le résultat de ses expériences et de ses découvertes, pour donner forme à ses visions, Goya ne pouvait compter sur le langage de la peinture traditionnelle. Au prix d'un immense labeur – 500 peintures, 280 eaux-fortes et lithographies environ, et près d'un millier de dessins – il créa une nouvelle technique d'expression. Avec lui naît la peinture moderne.
Un peintre espagnol du XVIIIe siècle
Les débuts de la carrière du peintre n'auguraient pas un destin aussi exceptionnel. Né dans le petit village aragonais de Fuendetodos, d'une famille modeste, Francisco de Paula Goya y Lucientes connut dans sa jeunesse des moments difficiles. Ses tentatives pour percer, à l'occasion des concours triennaux de l'académie de San Fernando, à Madrid, en 1763 et 1766, furent autant d'échecs. La malchance le poursuivit également en Italie où il dut se contenter d'une deuxième place au concours de l'académie de Parme en 1770.
Ses premières œuvres, des peintures religieuses à Nuestra Señora del Pilar (in situ) et au palais Sobradiel (dispersées), à Saragosse, révèlent surtout des talents de metteur en scène, probablement acquis dans la fréquentation du baroque italien. Il y a davantage de sobriété et de vigueur dans les tableaux de la vie de la Vierge dont il orna la chartreuse d'Aula Dei (in situ, très restaurée), voisine de la capitale de l'Aragon. Cette vigueur dépouillée est peut-être l'héritage d'une tradition régionale de la peinture religieuse péninsulaire.
En 1775, grâce à la protection de son beau-frère, Francisco Bayeu, Goya est engagé dans l'équipe de peintres chargés d'enrichir la collection de la manufacture royale de tapisseries de Sainte-Barbe, à Madrid. Ses cartons sont de véritables tableaux dans la tradition française et flamande où dominent les scènes de genre, les thèmes galants, ainsi que de séduisants croquis de la vie madrilène : Le Jeu de colin-maillard (La Gallina ciega), L'Ombrelle (El Quitasol), La Foire de Madrid (La Feria de Madrid), Le Printemps (Las Floreras), Les Vendanges (La Vendimia), œuvres qui sont toutes conservées au Musée national du Prado, à Madrid. À la même veine appartiennent les délicieuses compositions décoratives exécutées en 1787 pour la propriété de campagne que le duc d'Osuna possédait aux portes de Madrid : L'Escarpolette [El Columpio](Prado, Madrid). Le sommet de cet art aimable est peut-être atteint avec La Prairie de Saint-Isidore [La Pradera de San Isidro](Prado, Madrid), petit tableau peint la même année, avec une foule bigarrée au premier plan et, au fond, la silhouette de Madrid étonnamment claire. C'est aussi[...]
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Écrit par
- Marcel DURLIAT : professeur émérite d'histoire de l'art à l'université de Toulouse-Le-Mirail
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