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GOYA FRANCISCO (1746-1828)

À la recherche d'une expression libre

Jusque-là, la carrière de Goya avait été celle d'un homme grandi à l'ombre de l'académisme. Une série d'événements extérieurs et intimes vont en briser le cours et délivrer l'artiste de l'emprise des règles.

La crise est préparée par la mise à l'écart de l'élite éclairée auprès de laquelle Goya avait trouvé amitié et protection : Floridablanca, Jovellanos, Cabarrús, Ceán Bermúdez. Un climat de corruption, entretenu par la reine Marie-Louise et son amant Godoy, va précipiter le déclin de l'Espagne.

À la suite d'une terrible maladie, survenue à Cadix en 1792, Goya demeure irrémédiablement sourd. Cette infirmité, qui le coupe de l'extérieur, joue le rôle d'un catalyseur et libère un monde angoissant auquel le peintre avait échappé auparavant en se lançant à corps perdu dans la vie sociale et mondaine.

On peut suivre les progrès de la crise dans le recueil de gravures préparé à partir de 1793 et publié le 6 février 1799 sous le titre de Caprichos (Caprices). Ces œuvres sont encore conçues comme une critique des tares et des vices sociaux, dans l'esprit du rationalisme du xviiie siècle. Goya y dénonce notamment l'ivrognerie, en partant d'un cas concret : Y se le quema la casa (Et sa maison brûle). On peut de même soupçonner que ses amours malheureuses avec la duchesse d'Albe l'ont confirmé dans l'idée pessimiste qu'il se faisait des relations entre les partenaires du couple, ainsi qu'en sa croyance en la puissance maléfique de la femme : Ya van desplumados (Les voilà plumés !). Il reprend aussi le thème du Pantin– déjà traité antérieurement – que les femmes font sauter sur un drap (El Pelele). Le souvenir de la duchesse d'Albe s'attache plus particulièrement à la célèbre planche no 81 – demeurée longtemps non publiée – : El Sueño de la mentira y la inconstancia (Le Songe du mensonge et de l'inconstance).

<it>Le sommeil de la raison engendre les monstres</it> - crédits : Index/  Bridgeman Images

Le sommeil de la raison engendre les monstres

L'Inquisition dénoncée par Goya - crédits : AKG-images

L'Inquisition dénoncée par Goya

<it>Les Cannibales</it>, F. Goya - crédits : C. Choffet, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie, Besançon

Les Cannibales, F. Goya

Cependant, l'artiste dépasse ce stade purement critique en dévoilant ce que l'idéologie réformiste et optimiste des Lumières ne soupçonnait pas : la perversion fondamentale de l'homme. Au fond de l'humain, sa raison mortifiée a perçu un abîme où règne l'absurde.

Un monde « capricieux » de formes hallucinantes et de créatures grotesques, avec des scènes de supplices et des sabbats, envahit soudain l'univers de Goya. Cette découverte change complètement le sens même de sa peinture. De moyen d'ascension sociale, elle se transforme en un exercice libre au service d'une réalité essentielle et obsédante. Une écriture nouvelle naît, en rapport avec ce monde de rêve. Ce sont, en gravure, les contrastes brutaux entre les noirs et les blancs, accompagnés par les grands plans de l'aquatinte. En peinture, une touche plus rapide juxtapose les tons plus qu'elle ne les lie.

Cette technique impressionniste apparaît dans une série de tableaux inquiétants : La Procession de flagellants (La Procesión de disciplinantes), La Course de taureaux dans un village (Corrida de toros en pueblo), Scène d'Inquisition (Escena de Inquisición), Maison de fous (La Casa de locos), tous à l'Academia de San Fernando, à Madrid, que la critique a tendance à repousser à la fin des années quatre-vingt-dix. Le retour en grâce, en 1797, de deux de ses amis, Jovellanos et Saavedra, lui vaut de nouvelles commandes officielles. La plus importante de celles-ci est constituée par les fresques de la petite église de San Antonio de la Florida (in situ) où apparaissent déjà des formes puissantes et des têtes brusquement abrégées, annonçant les œuvres de la période noire.

Le clivage s'opère également dans le portrait. Durant les années 1794 et 1795, Goya semble adresser un dernier hommage à la technique du xviiie siècle en composant[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite d'histoire de l'art à l'université de Toulouse-Le-Mirail

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Médias

<it>Le Duc de Wellington</it>, F. Goya - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Le Duc de Wellington, F. Goya

<it>Tres de Mayo</it>, F. Goya - crédits : The Print Collector/ Getty Images

Tres de Mayo, F. Goya

<it>Saint François Borgia assiste un mourant impénitent</it>, F. Goya - crédits : J. Martin/ AKG-images

Saint François Borgia assiste un mourant impénitent, F. Goya

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