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SUÁREZ FRANCISCO (1548-1617)

Jésuite et théologien espagnol, Francisco Suárez, né à Grenade dans une famille de juristes, entreprit des études en droit canon à Salamanque, puis entra en 1564 dans la Compagnie de Jésus. Il enseigna la philosophie à Ségovie (1571-1574) et la théologie dans divers collèges de Castille (1574-1580). En 1580, il fut appelé comme professeur de théologie au Collège romain, mais sa santé l'obligea au bout de cinq ans à regagner l'Espagne, où il remplaça Vázquez à Alcalá (1585-1593). Au retour de ce dernier et à la suite de rivalités avec lui, Suárez s'établit à Salamanque (1593-1597), puis à Coïmbre, où il déploya la plus grande activité intellectuelle jusqu'à sa mort. Il prit une part active aux débats de auxiliis et laissa une œuvre théologique considérable : vingt-neuf volumes dans l'édition Vivès (1856-1878) et des traités inédits. Son principal ouvrage philosophique (Disputationes metaphysicae, 1597) est un grand commentaire d'Aristote, essentiel pour comprendre la dogmatique du jésuite espagnol.

Connu par ses interventions dans la querelle sur la grâce efficace (où il défendit le congruisme, position de compromis revenant à affirmer que Dieu prévoit la faiblesse humaine), Suárez fut un théologien original, soucieux d'élaborer une théologie positive et historique et souvent indépendant par rapport aux textes qu'il commentait : saint Thomas d'Aquin, mais aussi les auteurs scotistes et nominalistes. Sur la Trinité comme sur l'Incarnation, il a des positions subtiles et se préoccupe de concilier la liberté des créatures et l'adoption filiale dans le Christ : il y parvient en définissant l'accès de l'homme au surnaturel comme l'effet d'une puissance obédientielle (et non pas d'une inclination innée) active (impliquant donc, néanmoins, le recours aux forces naturelles). Non sans certaines contradictions dues au contexte polémique de sa réflexion, Suárez offre ainsi une grande synthèse du monde de la nature et du monde de la grâce, qui fut déterminante pour la théologie catholique moderne.

D'autre part, sensible aux problèmes posés par la conquista et par la politique espagnole en Amérique, Suárez se préoccupe, comme Bellarmin et Vitoria, d'instituer un droit des gens d'inspiration chrétienne et d'élaborer une réflexion sur la nature de l'État. Sa conception de ce droit international, à laquelle Hugo Grotius (mort en 1645) devait emprunter maintes idées, et sa théorie politique sont exposées principalement dans le De legibus (1612) et dans la Defensio fidei catholicae (1613). S'opposant au principe de la royauté de droit divin, Suárez considère les peuples eux-mêmes comme étant les détenteurs de l'autorité politique et l'État comme résultant d'un contrat social auquel le peuple donne son consentement. Il revendique pour chaque individu les droits à la vie, à la liberté, à la propriété et rejette la conception aristotélicienne selon laquelle l'esclavage serait pour certains une condition naturelle. Ces idées de contrat social et de droits de l'individu conduisent Suárez à des conclusions intéressant les comportements de certaines nations, notamment les pratiques de la colonisation espagnole (De bello et Indis). Il voit dans les territoires indiens des États souverains légalement égaux à l'Espagne et des membres de droit de la communauté mondiale, le pape ni l'empereur ni aucun prince chrétien ne pouvant s'autoriser à les occuper ou à les conquérir sous prétexte de leur apporter la foi.

— Jean-Robert ARMOGATHE

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études, sciences religieuses

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