BASAGLIA FRANCO (1924-1980)
Psychiatre et militant marxiste, Franco Basaglia s'est engagé en de multiples domaines et a suscité des controverses variées. Né à Venise, il se tourna vers la psychiatrie en 1958, après des études de médecine puis une spécialisation en neurologie, qu'il avait achevée en 1952. C'est en 1961 que débuta l'expérience de Gorizia, l'hôpital psychiatrique proche de Trieste auquel il a attaché son nom. Le dialogue entre Basaglia et Jean-Paul Sartre sur la fonction révolutionnaire de l'intellectuel (« sartrien » ou « gramscien ») qui ouvre le chapitre premier de Criminels de paix, dernier ouvrage collectif auquel aura participé Basaglia, montre quelles interrogations sous-tendaient la démarche de celui-ci en 1961.
Sur cette parole que « le technicien bourgeois accepte automatiquement la gestion de l'institution [...] comme si les définitions que sa propre intervention confirme ne dépendaient pas de lui », Basaglia demande à Sartre : « Quels sont, d'après vous, les problèmes théoriques et pratiques du technicien en face de la réalité, compte tenu de ce que la réalité elle-même dans laquelle nous vivons n'est que l'idéologie ? » Sartre répond : « ... une idéologie née de la pratique, et c'est exactement celle-ci que nous devons mettre au point maintenant. Et ce ne sont pas les intellectuels qui doivent le faire, mais l'ensemble des individus. »
Après avoir décidé de faire sortir de l'hôpital de Gorizia, marqué par une longue tradition asilaire, ceux qui y étaient internés, Basaglia s'efforce de rendre compte, à l'adresse de l'Italie et des autres pays, de la signification politique de l'événement et publie alors L'Institution en négation. L'expérience de cet hôpital des confins orientaux de la péninsule devient par là même un pôle d'attraction international. Ce mélange d'audace et de pragmatisme marquera les entreprises, toujours à la fois un peu folles et solidement préparées, qui, après Gorizia, se dérouleront à Trieste, à Parme puis à Rome.
Pendant vingt années, Basaglia a été animé par une indéfectible haine de l'enfer asilaire. Il avait conclu à l'échec total de la psychiatrie institutionnelle française, affirmant : « L'asile n'est pas réformable. » À ses yeux, tant qu'il restait une seule camisole de force, un seul interné à Trieste, tant que persistait l'archaïsme des institutions psychiatriques du Sud, les victoires ponctuelles n'étaient pas satisfaisantes. Il a donné une critique extrêmement cinglante de la politique dite « de secteur » pratiquée en France.
Pour beaucoup de psychiatres formés après 1968, il fut ainsi la figure de proue d'un vaste mouvement politique de libération sociale qui allait inscrire à une place tout autre la psychiatrie, jusque-là soit réduite au secret, soit vouée à la raillerie, à l'incompréhension, aux scandales et aux bavures. Avec et aux côtés de tous ceux qui travaillent dans le même domaine, les psychiatres devenaient alors les militants d'un des combats idéologiques les plus essentiels de notre époque, les défenseurs du droit à une libre expression de ces différences.
Point de jonction précieux entre les espoirs des Français et ceux des Italiens, « désaliéniste », désagrégateur et du même coup créateur, inventeur de libertés, Basaglia a été l'artisan premier, le porte-parole inlassable du mouvement Psichiatria democratica, qui regroupe en Italie toutes les catégories professionnelles travaillant dans le champ de la santé mentale. Grâce à lui, Psichiatria democratica réussit à donner en dix ans à l'Italie la première place en matière d'invention d'une politique psychiatrique qui s'inscrit dans un réel projet démocratique et prend en compte les besoins du plus grand nombre. Et, pourtant, le mouvement était, à l'origine, tout[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Franck CHAUMON : médecin-psychiatre.
- Bernard CHOURAQUI : médecin - psychiatre, président du syndicat de la psychiatrie.
Classification
Autres références
-
RÉHABILITATION PSYCHOSOCIALE
- Écrit par Denis MAQUET
- 6 484 mots
...international. Ils luttent pour leur déstigmatisation et leur reconnaissance en tant que citoyens à part entière. En Italie, un peu plus tôt, en 1978, le psychiatre Franco Basaglia dénonce les violences du système asilaire et obtient, grâce à la loi 180, la fermeture des hôpitaux psychiatriques. Au Royaume-Uni, dans...