BRUSATI FRANCO (1922-1993)
Dans le riche panorama du cinéma italien contemporain, Franco Brusati fait un peu figure de marginal. Son œuvre, peu abondante (huit films de 1956 à 1989), n'a attiré l'attention que par intermittence : Pain et chocolat, son film le plus célèbre, lui a valu une fausse réputation d'auteur de comédies, aux antipodes de son véritable tempérament. Partageant son activité entre le cinéma et le théâtre (il est l'auteur de cinq pièces : Il benessere, 1960 ; La fastidiosa, 1963 ; Pietà di novembre, 1967 ; Le rose del lago, 1974, présentée en France sous le titre Lundi la fête ; La donna sul letto, 1984), Brusati, après des études de droit et quelques années de journalisme, commence sa carrière comme scénariste. Il travaille notamment avec Mario Camerini (Mara, fille sauvage, Due mogli sono troppe, Une femme pour une nuit, Gli eroi della domenica, Ulysse). Il collabore aussi avec Luciano Emmer (Dimanche d'août), Alberto Lattuada (Anna, Les Adolescentes), Steno et Mario Monicelli (Les Infidèles), Franco Rossi (Smog), Franco Zeffirelli (Roméo et Juliette), Valerio Zurlini (Seduto alla sua destra). Ses débuts dans la mise en scène se situent en 1956 avec Il padrone sono me, analyse d'une famille bourgeoise inspirée d'un roman d'Alfredo Panzini. Ses films suivants, Le Désordre (1962), satire de la dolce vita milanaise, Tenderly (1968), Les Tulipes de Haarlem (1970) présenté au festival de Cannes, passent relativement inaperçus. En 1974, Pain et chocolat, comédie amère magistralement interprétée par Nino Manfredi sur les déboires d'un émigré italien dans la Suisse aseptisée du bien-être économique et de l'ordre moral, lui apporte un succès éphémère.
Classé auteur de comédies « à l'italienne », Brusati surprend avec Oublier Venise (1979), méditation sur le passage du temps et l'acceptation de la vieillesse, dont la résonance bergmanienne est accentuée par la présence au générique d'Erland Josephson. Le cinéaste confirme cette veine introspective avec Il buon soldato (1983) et Lo zio indegno (1989), films qui permettent de mieux cerner la personnalité d'un homme profondément désespéré.
Revu à la lumière de ces derniers films, Pain et chocolat acquiert une sorte de densité dramatique, loin des effets faciles d'une comédie de mœurs portée par le seul souci du divertissement. Brusati est avant tout un cinéaste méditatif qui analyse les fêlures de l'âme et la profonde insatisfaction de l'homme confronté à un impossible bonheur. Il buon soldato est à cet égard son film le plus représentatif : le protagoniste — le bon soldat du titre — est un être qui regarde le monde avec les yeux inquiets d'un pur qui ne peut s'accommoder du mal, de la violence, de l'égoïsme. Au terme de son parcours initiatique « à rebours », il se suicidera, abandonnant sans regret une vie qui ne lui a rien donné, sinon la tendresse d'une femme inaccessible.
Auteur secret, replié sur une sensibilité d'écorché vif, Brusati s'est tenu loin des modes et des œuvres de circonstance et a balisé avec quelques films repères une carte des sentiments brisés et des espérances déçues. Son dernier film, Lo zio indegno, dans la description d'un rapport conflictuel entre un neveu et son oncle, laisse entrevoir dans sa recherche d'identité une évolution vers une plus grande acceptation des contradictions de l'existence. L'échec commercial du film, malgré ses merveilleux comédiens — Vittorio Gassman et Giancarlo Giannini —, a définitivement plongé Brusati dans le silence. Entre nostalgie du passé et volonté d'accepter le présent, Brusati laisse une œuvre troublante à laquelle le temps rendra justice.
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Écrit par
- Jean A. GILI : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne
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