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LUCENTINI FRANCO (1920-2002)

Pour beaucoup d'Italiens, et pas seulement pour eux, le nom de Franco Lucentini reste étroitement associé à celui de Carlo Fruttero (1926-2012). Fruttero et Lucentini, ce sont d'abord les auteurs de La Donna della domenica (1972, La Femme du dimanche), où l'on voit le commissaire Santamaria se lancer dans l'exploration des mystères de Turin. Best-seller italien, ce long roman policier a été porté à l'écran par Luigi Comencini en 1975. Dès lors, Fruttero et Lucentini vont devenir les auteurs d'une riche série de romans à succès, produits de large consommation dans une société développée, publiés par la grosse maison d'édition milanaise Mondadori. Ce sont des livres policiers bien fabriqués, et qui se complaisent volontiers dans le grotesque, l'ironique, le fantasque. A che punto è la notte (1979, La Nuit du grand boss) n'est pas un essai de sociologie sur la société turinoise après la contestation et le terrorisme. Il Palio delle contrade morte (1983, Place de Sienne côté ombre) est un divertissement où le lecteur s'aperçoit qu'on l'a subrepticement logé dans la conscience d'un spectateur de télévision... Car Fruttero et Lucentini ont toujours su mettre en place un réel médiatisé et mythologique : ainsi de la Venise de L'Amante senza fissa dimora (1986, L'Amant sans domicile fixe) où la ville est revisitée à travers le double prisme de la légende du Juif errant et de la littérature touristique.

Franco Lucentini, bien qu'il fût né à Rome en 1920, se vivait et était perçu comme Turinois. Avec Carlo Fruttero, il a longtemps œuvré chez Einaudi, maison d'édition piémontaise, qui fut, des années 1930 à la fin du xxe siècle, la scène majeure de la culture italienne. C'est là que Lucentini, le polyglotte, a publié ses traductions, pas nécessairement avec Fruttero : Simone de Beauvoir, Borges, Dumézil, Babel, Déry, Robbe-Grillet, Beckett, Verne et d'autres... On doit aussi aux deux associés une contribution déterminante à la connaissance en Italie des auteurs anglo-saxons de science-fiction grâce à une revue, Urania, ainsi qu'à de nombreuses anthologies, parmi lesquelles Il Secondo Libro della fantascienza, 1961, qui avait été précédée par Le Meraviglie della fantascienza, due à la collaboration de Carlo Fruttero et du grand Sergio Solmi.

Dans sa Préface de 1973 à la réédition, sous le titre de Notizie degli scavi, de trois courts textes écrits par Lucentini avant leur activité en commun, Fruttero raconte que celui-ci, dans les années 1950, aurait fui définitivement Rome où il fut étudiant vaguement antifasciste, et également journaliste d'agence. Turinois d'adoption, donc, comme le commissaire sicilien Santamaria des romans policiers, Lucentini avait une épouse parisienne et une maison de campagne aux environs de Fontainebleau. Dans ce récit-préface est également évoquée, satiriquement, une certaine idée de la littérature véhiculée par la culture progressiste à l'italienne des années 1950-1960, avant que ne s'affirme ce qu'on a appelé, avec mauvaise humeur peut-être, « le roman supermarché de Fruttero et Lucentini ». Enfin Fruttero donne ironiquement la clé d'une pratique scripturaire valable pour l'un comme pour l'autre lorsqu'il évoque, à propos de Lucentini, « son instinct de narrateur, son surprenant talent de bricoleur lexical et syntaxique ».

Ce regard de Fruttero attire l'attention sur les textes du premier Lucentini, celui que, avec I Compagni sconosciuti (1950, Les Camarades inconnus), Elio Vittorini choisit pour ouvrir sa collection I gettoni, toujours chez Einaudi. Avant ce récit, il y avait eu La Porta (1947), trop ancré dans une description néo-réaliste de la Rome de l'après-guerre. Dernière œuvre de cette période, Notizie degli scavi (1964, Informations sur[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, en poste à l'université de Grenoble-III-Stendhal

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