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SACCHETTI FRANCO (1332 env.-1400)

Né entre 1332 et 1334, fils de marchand, inscrit lui-même à la corporation du Change, Franco Sacchetti est le type même du bourgeois florentin du xive siècle. Homme d'affaires, propriétaire terrien, il remplit de nombreuses charges politiques au service de Florence. Sa vie est traversée par les crises économiques, sociales et politiques qui se succèdent à Florence dans la seconde moitié du xive siècle (rappelons pour mémoire la peste de 1374, la guerre des Huit Saints en 1376, le tumulte des Ciompi en 1378), ainsi que par divers drames familiaux, notamment l'exécution de son frère Giannozzo convaincu d'avoir participé à la conspiration.

Sacchetti a laissé 298 poésies, dont les premières (comme la Bataille des belles dames de Florence contre les vieilles, petit poème narratif farci de mythologie à clefs mondaines) témoignent de l'influence de Boccace. Sacchetti exploite également, avec un grand talent, le filon de la tradition comique, préfigurant dans ses recherches de langage les grands burlesques des siècles suivants, tel Burchiello. Il a produit enfin de nombreux textes destinés au chant (ballades, madrigaux, chasses) où il montre une remarquable habileté technique. Au fil des ans, cependant, la poésie morale occupe de plus en plus de place dans son Libro delle rime ; des thèmes traditionnels tels que la critique des mœurs, la satire du clergé et des gouvernants, la déploration de la décadence morale de la société revêtent une actualité nouvelle dans la période de crise évoquée plus haut. Cette vocation de moraliste se retrouvera dans les nouvelles.

Cependant la découverte de la prose par Sacchetti a lieu à la faveur d'un commentaire de l'Écriture (les Sposizioni di Vangeli), où viennent s'inscrire ici ou là des anecdotes exemplaires, et de la rédaction de Lettres (pour la plupart postérieures à 1378) fustigeant la superstition, l'impéritie des hommes politiques, etc. Les Trecentonovelle, probablement écrites entre 1392 et 1397, débutent par un hommage appuyé au Décaméron de Boccace. Mais de tous les recueils de nouvelles postérieurs à celui-ci, c'est le plus indépendant du grand modèle. Ici le fait divers, la chronique municipale excluent toute narration d'aventures romanesques, et la foule des Florentins ridicules n'est compensée par aucune galerie de personnages prestigieux ; en un mot, l'équilibre boccacien est rompu au profit d'une attention exclusive aux « choses vues ». Le ton du narrateur est celui d'un témoin et d'un mémorialiste, résolument familier, parfois elliptique, à peine distinct parfois de celui des savoureux dialogues qu'il rapporte. Ce locuteur unique n'hésite pas à communiquer au lecteur ses commentaires moraux, souvent proverbialisants. C'est donc dans ses nouvelles que Sacchetti réussit à fondre ensemble l'inspiration comique et la veine moralisante de ses œuvres précédentes. On chercherait en vain, dans les Trecentonovelle, la trace d'une utopie ; à tous les maux dont souffre la société, l'auteur n'oppose (et c'est un signe des temps) aucun projet, aucun idéal, mais tout au plus quelques leçons de sagesse tirées des faits : son seul repère est la foi chrétienne et son horizon immédiat, le pessimisme. C'est sur ces bases que se fondent sa violente polémique anti-ecclésiastique ainsi que sa condamnation des grands (l'oligarchie florentine) et des seigneurs (dans les États soumis à un pouvoir personnel). Sacchetti ne se réfère à aucun modèle chevaleresque dont la restauration pourrait assurer la paix civile et la morale sociale. Les Trecentonovelle sont donc le portrait vivant et amer d'une cité que les Médicis devaient, quelques années plus tard, s'approprier.

— Claudette PERRUS

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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