GUIBERT FRANÇOIS APOLLINI comte de (1744-1790)
« En 1772, M. de Guibert fit paraître son Traité de tactique qui causa le plus grand bruit à cause de la préface qui était fort hardie, ce qui l'obligea à voyager. » Cette remarque provient des notes de Bonaparte, alors jeune officier et qui saluait ainsi l'un de ses maîtres à penser.
Lieutenant à treize ans au régiment d'Auvergne, capitaine en 1758, Guibert participa à toutes les opérations importantes de la guerre de Sept Ans. La paix revenue, il collabora à la rédaction des nouvelles ordonnances sur le service en campagne. On le retrouve en Corse, en 1769, combattant la tentative d'indépendance de Paoli. Avant son départ pour l'île, Guibert, prévoyant qu'il ne pourrait achever la monumentale France politique et militaire qu'il préparait, en détacha des fragments qui constituèrent l'Essai général de tactique, paru d'abord anonymement, puis sous son nom en 1772-1773 en France.
La préface de Guibert était révolutionnaire. Ne mettait-il pas la patrie au-dessus du roi et ne voulait-il pas transformer les sujets en citoyens ? Il condamnait les dynasties en place et proposait un « plan de régénération » : « La politique doit avoir pour objet de rendre une nation heureuse au-dedans et de la faire respecter au-dehors. Tout ce qui prépare le bonheur et la puissance d'une société est de son ressort. » Il examine les qualités nécessaires à l'homme supérieur qui souhaiterait assurer le bonheur de sa patrie : « Pour diriger l'ensemble de l'administration, il n'est pas nécessaire qu'il ait approfondi les détails de toutes les parties. Il suffit qu'il connaisse ceux des parties principales, le résultat des autres, la relation que chacune d'elles doit avoir avec le tout. » C'était annoncer Bonaparte.
Il n'est pas de liberté ni de prospérité pour qui ne sait les défendre. La meilleure défense est celle qu'assure une armée nationale de citoyens : « Supposons qu'il s'élevât en Europe un peuple vigoureux de génie et de moyens et de gouvernement, un peuple qui joignît à des vertus austères et à une milice nationale un plan fixe d'agrandissement ; qui, sachant faire la guerre à peu de frais et subsister par ses victoires, ne fût pas réduit à poser les armes par des calculs de finance. On verrait ce peuple subjuguer ses voisins et renverser nos faibles constitutions [...] Qu'il est aisé d'avoir des armées invincibles dans un État où les sujets sont citoyens, où ils chérissent le gouvernement ! »
Le scandale est terrible. Guibert doit s'exiler. Il séjourne en Prusse auprès de Frédéric II et prédit l'effondrement de l'armée prussienne à Iéna ; il est choqué par la « bigoterie » de Vienne. De retour en France, il est appelé en 1775 par le comte de Saint-Germain, ministre de la Guerre, à collaborer à une réorganisation de l'armée. Mais Saint-Germain est rapidement disgracié sans avoir pu faire aboutir tous ses projets. Devenu pessimiste, Guibert paraît désormais convaincu que seule une véritable révolution des institutions politiques pourrait « tout réparer en tout bouleversant ». Pendant une dizaine d'années, il tient garnison à Saint-Omer, Douai, Sedan, Metz et Morlaix. Il publie une Défense du système de la guerre moderne, correspond avec Mme de Lespinasse, et se voit élu à l'Académie française.
Ségur lui demande un nouveau plan de réformes. En 1788, les premiers effets de ce plan, dû à un conseil dont Guibert est le rapporteur, se font sentir. Mais les projets se heurtent au manque d'argent et aux privilèges. Lors des élections aux États généraux, Guibert ne parvient pas à se faire élire par la noblesse de Bourges. Déçu, il continue pourtant à écrire, notamment en décembre 1789 une Lettre à l'Assemblée nationale. Il annonce que la bourgeoisie qui s'appuie[...]
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Écrit par
- Jean TULARD : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Autres références
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ARMÉE - Doctrines et tactiques
- Écrit par Jean DELMAS
- 8 017 mots
- 3 médias
...Simultanément, en France, la réflexion doctrinale, très féconde, se traduit par des réformes. Elle trouve sa meilleure expression dans les écrits de J. A. H. de Guibert (1743-1790). Sur le plan tactique, Guibert estime que l'ordre mince, trop rigide, ne permet ni la manœuvre ni le choc, et que l'ordre profond se...