BOURRICAUD FRANÇOIS (1922-1991)
Deux intérêts bien distincts ont donné à l'œuvre de François Bourricaud son orientation et son originalité. L'un se rapporte aux thèmes classiques de la philosophiemorale et politique ; l'autre, aux problèmes nés du développement de l'Amérique latine, et plus particulièrement à ceux qui sont posés par le « cas péruvien ». Ils sont présents dès l'élaboration de ses thèses pour le doctorat ès lettres. Soutenue en 1961, L'Esquisse d'une théorie de l'autoritéenvisage d'un point de vue synthétique une relation fondamentale – l'autorité – étudiée par Max Weber et Theodor Adorno ; la thèse complémentaire soutenue l'année suivante – Changements à Puno – est une étude de sociologie andine issue d'une enquête qui a conduit son auteur chez les Indiens du lac Titicaca. Ces intérêts se rejoignent dans une analyse sociologique, que François Bourricaud a appliquée, en toute rigueur, aux différents aspects de la vie politique et sociale, à la société démocratique comme aux régimes autoritaires.
Le sociologue qui, par ces travaux, devenait titulaire d'une chaire universitaire, a d'abord été, comme la plupart de ses pairs, un agrégé de philosophie, enseignant dans le secondaire. Professeur au lycée d'Angoulême (1945-1947), il est ensuite assistant de sociologie à la faculté des lettres de Paris (1947-1950) puis Rockefeller fellow (1950-1952). Après avoir été chargé de mission par le C.N.R.S. et l'U.N.E.S.C.O. au Pérou (1952-1954), il a jusqu'en 1966 enseigné la sociologie à Bordeaux. Élu à l'université de Paris-Nanterre en 1966, il est l'année suivante – de mai 1967 à mai 1968 – conseiller technique au cabinet d'Alain Peyrefitte, alors ministre de l'Éducation nationale. Finalement appelé, en 1969, à la Sorbonne, où il a donné ses derniers cours en 1991, François Bourricaud s'est évidemment intéressé au destin de l'Université. L'évolution de l'enseignement supérieur après 1968 lui a inspiré un livre au titre significatif : Universités à la dérive (1971). Celle des modes intellectuelles qui se sont succédé au cours des précédentes décennies a été examinée dans un brillant essai « sur les intellectuels et les passions démocratiques », Le Bricolage idéologique (1980). Les vicissitudes de la vie politique sont, entre autres analyses, à l'origine d'un nouvel essai, Le Retour de la droite (1986), qu'une partie de la presse a mal accueilli : contrairement au souhait de son auteur, plusieurs commentateurs ne se sont pas avisés de ce que « l'opposition droite-gauche est susceptible de recevoir un autre sens que celui de l'affrontement partisan ».
C'est cependant dans le domaine de la théorie sociologique que l'apport de François Bourricaud se révélera le plus remarquable. On lui doit ainsi le meilleur ouvrage sur la sociologie de Talcott Parsons, L'Individualisme institutionnel (1977), prolongement d'un choix de textes, paru en 1955, du grand sociologue américain. À l'œuvre de ce dernier, son « présentateur » français demeurera indéfectiblement fidèle ; lui aussi entendait tenir conjointement compte des logiques de l'acteur et des conditions sociales de leur réalisation ; l'expression d'« individualisme institutionnel » réconciliait précisément « deux inspirations parsoniennes, celle de l'objectivité de l'ordre social et celle de l'activité des individus ».
Son attachement à la sociologie de l'action explique son rejet du « sociologisme ». À la journée d'études organisée à Strasbourg (1975) par la Société française de sociologie, il critiqua cette tendance à attribuer à la « structure sociale » un pouvoir d'explication largement illusoire, et cela à partir des travaux, alors peu connus en France, de[...]
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
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