CHAUMETTE FRANÇOIS (1923-1996)
Pour le public de théâtre, François Chaumette a été un grand sociétaire de la Comédie-Française, incarnant ce qu'elle a de meilleur. Au public populaire de la télévision, il s'est rendu familier en figurant dans maints feuilletons, dont Belphégor et Le Chevalier de Maison-Rouge. Des émissions très suivies – « En votre âme et conscience », « La caméra explore le temps » – et des adaptations prestigieuses (Les Perses, Illusions perdues) également le requéraient, les deux publics pouvant alors se rencontrer. Si le cinéma ne lui a pas donné les mêmes chances, c'est qu'après quelques films François Chaumette a délibérément choisi le théâtre. En 1950, il interrompt ses études au Conservatoire, pressé de jouer, à l'instar de sa sœur Monique, sous la direction de Jean Vilar, L'Invasion d'Adamov au Studio des Champs-Élysées, une de ces petites scènes parisiennes qui ont donné son éclat au théâtre de l'après-guerre. Autre petite scène, l'éphémère Théâtre de Babylone, où il interprète Mademoiselle Julie de Strindberg (1951) et L'Incendie à l'Opéra de Kaiser (1953). Vilar l'intègre à sa troupe et, à Chaillot, au festival d'Avignon, il est présent dans les créations du T.N.P. Mais l'essentiel de sa carrière va se dérouler à la Comédie-Française : pensionnaire en 1957, il devient sociétaire dès 1960. Là, il se plie tout naturellement aux exigences de l'alternance, non seulement des pièces mais des rôles : « ... vie d'acteur responsabilisé, vis-à-vis de l'institution, vis-à-vis des autres aussi. Il faut pouvoir être glorieux, il faut aussi savoir être humble » (Europe, avril 1993). Ainsi, en 1980, il est le Président de La Folle de Chaillot de Giraudoux et Gustave dans Créanciers de Strindberg. Il a joué plus de trente auteurs, aussi divers que Calderón, Hugo, Becque, dirigé par les plus grands metteurs en scène. Il a lui-même monté Nicomède de Corneille, Œdipe de Gide, La Volupté de l'honneur de Pirandello, Les Gracques de Giraudoux. Ce n'est pas sans amertume qu'il se trouve, en 1987, mis sur la touche par un nouvel administrateur de la Comédie-Française, Jean Le Poulain, dont le séparent sa conception du théâtre et son engagement politique d'homme de gauche. Le voilà sociétaire honoraire, ce qui lui permet de rejouer dans sa chère Maison. Mais il n'aurait voulu y reparaître qu'elle ne soit administrée par d'autres, Vitez dès 1988, puis Lassalle, Miquel. Libre il peut, et il y trouve son plaisir, se mesurer aux rôles d'une grande diversité du théâtre contemporain : parfois grand personnage (il a belle allure) mais plus souvent homme inquiet ou inquiétant, servi par son humour, ses yeux enfoncés dans les orbites, sa voix profonde, coupante ou sardonique aussi bien. En 1988, dans la première pièce de Lars Noren jouée en France, La Force de tuer, il incarne un méchant vieux bonhomme ; en 1990, dans Sigmaringen France, de Daniel Benoin, le collaborationniste Fernand de Brinon ; en 1992, dans Le Retour de Casanova de Schnitzler, un séducteur vieilli, déchu, à la conduite infâme. Pendant plus de deux ans, il propose, en solitaire, une adaptation de La Chute de Camus, excellant à exprimer la complexité d'un homme tourmenté. De nouveau à la Comédie-Française, il a été un spectre très impressionnant dans Hamlet, mis en scène par Georges Lavaudant. Jacques Lassalle lui avait confié, en 1993, dans Dom Juan, le rôle de Don Luis dont il savait faire mieux qu'« un père noble », ainsi que celui du Commandeur, dont la voix enregistrée se fera encore entendre après sa mort, la mise en scène de Jacques Lassalle étant reprise durant la saison 1996-1997.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Raymonde TEMKINE
: ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de
Regards et des revuesEurope ,Théâtre/Public , auteur d'essais sur le théâtre
Classification