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CHAZEL FRANÇOIS (1937-2022)

Au fondement théorique d’une science empirique

Tout au long de son œuvre, Chazel a soutenu une position forte et claire en faveur de la théorie sociologique, voire la « théorie sociologique générale » (Aux fondements de la sociologie, 2000). Ses premiers travaux ont d’ailleurs bien marqué cette volonté de toujours chercher à préciser, à partir de l’examen serré des œuvres, les conditions d’élaboration d’une théorie sociologique, quelle qu’elle puisse être. Si le projet de Parsons rencontrait les enjeux qui le mobilisaient, il s’est cependant toujours méfié lui-même de ces vastes entreprises de constitution de théories synthétiques englobantes qui ne font qu’aboutir à la formulation de simples métathéories et non à la formation de théories sociologiques susceptibles d’être empiriquement utilisables. Refusant de s’enfermer dans le réductionnisme naïf conduisant à distinguer la nature du travail sociologique selon ses objets empiriques, il s’est appliqué à marquer comment théorie sociologique et « sociologies spéciales » devaient être rigoureusement articulées. De ce point de vue, il faut rappeler la portée du travail qu’il a mené avec Pierre Birnbaum à l’occasion de la publication de Sociologie politique (1971). L’intérêt du livre était double : d’une part, offrir au lecteur français un ensemble de textes étrangers, dont il était peu familier, lui permettant d’appréhender le politique dans toutes ses dimensions ; d’autre part, marquer l’importance et l’intérêt de la sociologie générale pour la production d’un tel travail. En cela, il fut incontestablement un « passeur ». Son ouverture l’a toujours tenu éloigné de tout effet de mode comme de tout hexagonalisme.

Son intérêt pour les sociologues « classiques » – dont naturellement Max Weber et Émile Durkheim – participe moins d’un quelconque devoir de mémoire que de la volonté de les questionner quant à l’actualité des enjeux théoriques dont ils sont les porteurs et quant à la force des analyses qu’ils ont proposées. Il a lui-même qualifié ce regard de « présentisme tempéré » afin de souligner qu’il ne s’agissait ni de sacrifier la théorie à la seule approche historique ni d’exonérer une démarche théorique de toute histoire. S’il a consacré à la fin de sa vie autant de temps à l’œuvre de Max Weber, c’était là encore afin de reposer encore et toujours la question des conditions de formation d’une théorie sociologique.

Inscrit dès le départ dans la sociologie de l’action, il a cherché comment il était possible de combiner la mise au jour des régularités sociales en même temps que l’explication de la singularité des processus historiques. Ses travaux sur les révolutions et sur les processus révolutionnaires sont de ce point de vue particulièrement éclairants des rapports complexes entre structures sociales et acteurs sociaux, d’autant que la réintégration de ces derniers et de leur subjectivité dans l’analyse conduit à donner une forme probabiliste à l’explication sociologique. Parler d’action est bien reconnaître que l’acteur ne peut se soustraire ni à sa conscience ni à son contexte.

Le travail de Chazel reste exemplaire d’un niveau d’exigence qu’il a manifestement puisé dans la fréquentation des classiques et dont il aurait aimé voir la perpétuation dans une période trop marquée à son goût par « un curieux mélange de relativisme et d’empirisme court ». Par son effort permanent pour se situer par rapport aux enjeux marquants de la discipline, il y a chez lui, derrière des raisonnements prudents, réfléchis et informés, la défense d’une vision forte de la sociologie pour laquelle il avait incontestablement une grande ambition.

François Chazel s’est éteint le 14 août 2022 à Saint-Agrève, en Ardèche, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

— Patrice[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de sociologie à l'École normale supérieure de Paris Saclay, président du Conseil national de l'information statistique (CNIS)

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